Vers la fin de sa vie, elle s'était orientée vers la narration de ses différentes opérations. On lui avait presque tout enlevé dans le ventre et elle nous racontait ces péripéties dans le moindre détail, parfois à nous en couper l'appétit. Un jour, je me suis retenu à la dernière seconde avant de lui demander comment elle pouvait être encore si grosse alors qu'il ne lui restait presque rien pour la remplir.
Elle était une des principales organisatrices de la fête de l'école, en fin d'année. Nous avions droit, pendant plusieurs jours, aux répétitions des primaires dans la cour, avec cerceaux fleuris, chapeaux de feutre et tutus de papier. Et, chaque année, son fils venait pousser la chansonnette, beuglant plus que chantant.
Et puis, il y avait son poème préféré, Jeanne était au pain sec, de Victor Hugo (L'Art d'être grand-père), qu'elle faisait régulièrement apprendre à ses élèves. C'est par elle que j'ai découvert ces vers, dont j'espère qu'elle expliquait quelques mots aux bambins.
Jeanne était au pain sec...
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures :
- Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :
- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.
Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,
Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,
J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là
Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certe,
On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,
M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l'autorité des douces créatures :
- Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.
2 commentaires:
En effet, je ne sais pas en quelle classe elle enseignait cette dame, mais c'est quand même pas forcément à la portée du premier gamin venu. Cela interroge sur l'éducation de notre temps et bien plus.
Cornus : Il me semble que c'était le cm1 ou cm2 mais je n'en suis pas sûr. Et je ne suis pas sûr non plus que c'était à la portée des élèves, même à l'époque.
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