Le gîte m’apparut enfin, au détour d’un virage, caché en
partie par des arbres. Depuis Lucca, la route en lacets semblait s’être adaptée
à mes pensées et je ne sais plus à quoi je rêvassais quand le portail que
m’avait indiqué la propriétaire comme point de repère s’était dressé devant
moi. La peinture, bleue autrefois, s’était depuis longtemps écaillée et je
faillis passer devant sans le remarquer.
Quelques mois plus tôt, nous avions, à quatre, des amis de
Lyon, réservé les lieux pour une semaine de vacances. Mais, peu de temps avant
le départ, la soirée que nous passions chez l’un d’eux avait dégénéré, le ton
avait vite monté et j’avais décidé de partir seul, sans réfléchir. J’étais
maintenant fatigué de ces kilomètres d’autoroute, où un violent orage m’avait
contraint à m’arrêter sur une aire pendant une vingtaine de minutes, et j’avais
hâte de poser mes bagages. Une fois les clés récupérées chez le voisin, un
barbu corpulent au sourire à demi figé, je pris la montée caillouteuse qui
menait à un terre-plein où je garai ma voiture.
La maison, malgré sa vétusté, avait du charme. Depuis le
terre-plein qui dominait une pente abrupte où les ronces et les mauvaises
herbes laissaient voir un prunier chargé de fruits, d’un jaune presque
phosphorescent sous le soleil déclinant, et un figuier moins accessible, une
terrasse en dalles de terre cuite conduisait à la porte précédée de trois
marches de plus en plus étroites vers le haut. Le long de la terrasse, des
jasmins, en pleine floraison, et des hortensias fanés faisaient comme une haie.
Je savais que je ne serais pas seul dans la maison :
l’étage du haut était loué à un couple de hollandais dont j’avais pris la
précaution de demander s’ils avaient des enfants, et ils n’en avaient pas. La
propriétaire m’avait envoyé par mail des photos de l’intérieur. L’étage devant
la terrasse donnait sur un grand salon, aux meubles de bois assez lourds, et
les chambres se trouvaient au sous-sol de ce côté-ci mais ouvraient sur une
autre terrasse en contre-bas.
L’étage du haut semblait vide au moment de mon arrivée. Pas
de hollandais en vue, ce dont je me réjouis.
Je laissai mes bagages dans le coffre et introduisis la lourde clé dans
la serrure. L’intérieur était sombre mais je reconnus la grande table de bois
massif et, le long des murs, le vaisselier et les rayonnages remplis de disques
et de livres d’art. L’odeur était celle d’un intérieur peu utilisé, à la fois
fraîche et un peu piquante. Les quelques pas que je fis jusqu’à la table firent
danser la poussière qui tournoya dans les rais de lumière filtrant par les
interstices des volets.
Ayant rapporté mes bagages de la voiture, je les déposai
dans le coin près du canapé, en veillant bien à ce qu’ils ne gênent pas le
passage, comme si quelqu’un allait surgir et me demander des comptes sur ma
présence ici. Puis j’entrepris de faire le tour des autres pièces. Derrière le
salon, un petit réduit avait été aménagé pour y regarder la télévision et se
prolongeait par une alcôve encombrée d’un bric-à-brac indescriptible. En
montant une marche, on accédait à un autre espace, la salle à manger sans
doute, qui ouvrait, avec une marche supplémentaire, sur la cuisine. Là aussi,
le ménage n’avait pas été fait depuis longtemps et les meubles de cuisine
étaient recouverts d’une sciure brunâtre tombée des poutres que des insectes
avaient rongées.
En revenant sur mes pas, je découvris l’étroit escalier en
colimaçon qui descendait aux chambres. En vain, j’actionnai
l’interrupteur : la lampe était grillée, et c’est dans le noir, en
m’agrippant à la rampe, que je pus accéder aux chambres. Juste avant d’y
parvenir, le goutte à goutte d’un robinet qui fuyait m’indiqua où se trouvait
la salle de bain. Un petit coin dont la porte bloquait un peu à cause de
l’humidité mais qui suffirait bien pour mes seuls besoins. Il y avait deux
chambres, l’une immédiatement au bas de l’escalier, qu’il fallait traverser
pour accéder à l’autre. Toutes deux donnaient, par des doubles portes, sur une
autre terrasse où traînaient une table de bistro en fer et deux chaises tout
aussi rouillées que le portail de la propriété. Les chambres, elles aussi,
sentaient le renfermé. Je choisis la seconde, parce qu’elle avait un grand lit
et un immense placard. Là aussi, le sol de tomettes était recouvert de
poussière et d’insectes morts.
Je sus immédiatement que cet endroit
me
plairait.
5 commentaires:
Eh bien je crois que cet endroit Me plairait, mais je suppose que ça n'est pas ce que tu voulais écrire ? :)
Blague à part, voilà un cadre bien intéressant pour que quelque chose s'y passe.
On saura être patient (mais pas trop !)
Plume (et non pas Plule) :merci. Corrigé.
Je crois n'avoir jamais lu de fiction fabriquée sur un vécu aussi récent. Alors forcément, on pense surtout au vécu lu il y a peu, sans trop savoir l'ampleur de la manipulation. Mais peut-être vas-tu brouiller un peu plus les cartes pour la suite, car maintenant que le cadre est posé, on se demande ce qui pourrait arriver. Même impatience que Plume.
Hum, hum, on attire notre attention avec force détails sur le caractère inhospitalier de la maison, attirante et répugnante à la fois, et on ne dit rien du banal couple de hollandais - normal car il est absent me direz-vous -, alors moi je parie sur les hollandais ! Parier quoi? Je n'en sais fichtrement rien.
Tien as tu déjà remarqué que couple est un anagramme de copule?
Cornus : elles sont déjà un peu brouillées.
Karagar : je me pose justement des questions sur ce couple...
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