Suis-je encore fait pour ça? Je ne le crois pas, ou vais décider que non, ce qui revient au même. Des années en arrière (quelques-unes, pas tant que ça), je me coltinais chaque année deux voyages scolaires, l'un en Alsace avec une classe européenne, l'autre à l'étranger (Italie et Grèce en alternance). Et tous les deux ans une semaine européenne au collège, où, sous forme d'expositions, nous faisions découvrir à nos invités (deux élèves par pays, plus leur professeur) la plupart des régions françaises Et j'aimais ça, la préparation, le voyage, les visites, les veillées, les repas, la fatigue accumulée à chacune de ces étapes. Je détestais un seul moment: celui où, rentrant chez moi avec encore, dans les oreilles, le bourdonnement des voix d'une soixante d'élèves, je me retrouvais soudain seul au milieu de chez moi. Je me demande aujourd'hui où je trouvais alors le temps et l'énergie.
Temps révolu, il me semble. Même une bénigne sortie à Lyon intra muros me pèse. Je n'ai plus la motivation nécessaire. Moi, pour foncer, j'ai besoin de sentir que ce que je fais est utile, que je fais plaisir aussi. Si tel n'est pas le cas, la coquille se referme très vite et je peux alors faire montre d'une léthargie étonnante, ou d'une mauvaise humeur homérique si l'on vient alors me chatouiller là où ça ne me gratte pas.
C'est moi qui avais voulu que ma classe s'associe aujourd'hui à celle d'une collègue pour un pique-nique de fin d'année au Parc de la Tête d'Or, suivi d'une visite au MAC de l'exposition consacrée aux œuvres (???) de Ben. Résultat: des élèves un peu excités (mais ça, nous avons l'habitude), un pique-nique rapatrié sous la verrière de la Cité internationale pour cause de pluie incessante (rappelez-moi la date, déjà?), quatre élèves exclus de l'exposition pour comportement incorrect et un procès-verbal dressé à l'un des quatre dans le bus pour avoir utilisé une carte d'abonnement qui n'est pas la sienne (et sans doute volée à une autre élève).
Protestations, marques de mépris, rébellion hautaine, mensonge, tentative d'intimidation, nous avons eu droit à tout. Et de la part de gamins de douze ans. Quand le contrôleur a fini par joindre le père, c'est pour se faire traiter de très haut: comment un vulgaire employé des TCL, accompagné de quelques professeurs en dessous de tout, pouvait-il mettre en cause la probité de la prunelle de ses yeux prunelle qui, entre parenthèses, ne voit guère plus loin que le bout de son nez tant ses neurones sont clairsemés? Je n'aurais jamais écrit la fin de la phrase précédente il y a quelques années. Aujourd'hui, j'ose, et tant pis si cela déplaît. parmi nos "charmantes têtes blondes", il y a des presque demeurés, des handicapés cérébraux, des voleurs déjà bien entraînés, des gamins ou des filles qui n'ont ni Dieu ni Diable et n'en font qu'à leur tête (légère) avant d'aller bientôt grossir la rubrique des faits divers. Et je ne me plains pas: je travaille dans une zone relativement protégée. Ailleurs, c'est sans doute pire.
Ce que je n'admets pas surtout, et refuserai toujours d'admettre, c'est de faire un travail pour lequel je ne suis pas payé et n'ai pas été formé: on me verse un salaire pour donner des cours, essayer de transmettre une certaine culture ou, à défaut, un certain nombre de connaissances. Je peux, bien sûr, m'adapter et dépasser cette stricte direction, mais je ne le veux plus. Ce n'est pas à l'école de supporter toutes les tares de la société actuelle (pas plus que ça ne l'est aux contrôleurs des TCL ou à la police), ce n'est pas à l'école de se substituer aux parents déficients ou qui refusent d'assumer leur charge. Tout à l'heure, j'ai entendu une élève, dans le bus, dire à une de ses amies, que c'était sa mère qui l'avait inscrite sur Facebook! Il ne reste plus, après cela, qu'à retirer l'échelle.
Pour ma part, je n'ai ni l'âme d'un martyr, ni celle d'un pionnier de la conversion (ou ne l'ai plus). Je l'ai dit à la collègue qui m'accompagnait tout à l'heure et partageait mon point de vue: s'ils veulent croupir dans leur crasse intellectuelle, qu'ils y croupissent; s'ils n'ont pas l'intention d'apprendre quoi que ce soit, qu'ils n'apprennent pas; s'ils me prennent, eux et leurs parents, pour un vieux con, je suis un vieux con, mais heureux de l'être et ressentant de jour en jour, hélas, davantage de mépris pour cette tourbe malodorante qui se donne des airs de citoyens. Et pardon pour tous les autres, tous ceux qui, malgré tout, considèrent que l'école et l'enseignement sont un cadeau précieux auquel tout le monde n'a pas accès et acceptent, comme des enfants qu'ils sont encore, d'être guidés, conseillés, parfois grondés ou punis, souvent encouragés et ressortent des mains des enseignants un peu plus cultivés, un peu plus respectueux et un peu plus intelligents socialement, finalement. Les autres ne m'intéressent plus.
mardi 15 juin 2010
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10 commentaires:
C'est la journée des poings ? ;)
Pas facile, hein ?
En te lisant, je me dis que toi tu as le droit, car tu as quelques années d'enseignement de plus que moi. Alors, pourquoi est-ce que je me sens totalement 'en phase' avec ce que tu dis ? Suis-je un vieux con prématuré (hypothèse tout à fait possible) ou bien est-ce que c'est parce que les nous sommes tous pris dans la marée montante engendrée par la société actuelle et que les profs y sont confrontés de façon plus intense vu la nature de leur public ? Un peu des deux, sans doute.
Une seule consolation : ça vaut encore le coup de faire des sorties, d'organiser des rencontres, de payer de sa personne, pour ceux qui sont corrects et reconnaissants. Même s'il n'y en a qu'un sur trente. ca vaut encore le coup. Pour les 29 autres (j'exagère le nombre, heureusement...) c'est tout à fait normal d'avoir envie de jeter l'éponge.
Et d'y céder...
(inscrite par sa mère sur Facebook... je le crois pas... j'hallucine....!!)
Je fais le même constat que toi sur les sorties en classe et les "dispositions" de certains élèves face à l'école et à la culture que nous essayons de transmettre. Ce qui est inquiétant c'est qu'il ne s'agit pas d'un phénomène géographique car tu enseignes dans un coin relativement "privilégié" avec des gamins en général plutôt éduqués. Je crois que c'est générationnel et la majorité des gamins qui fréquentent nos collèges et lycée ont un rapport totalement utilitariste avec l'école. Heureusement, il en reste quelques uns qui acceptent les règles implicites de l'école et qui nous donnent encore du plaisir à enseigner.
Une journée particulière, sans doute, Olivier.
Si je comprends bien ton commentaire, Lancelot, je serai donc un vieux con pas du tout prématuré? :-)
Exact, Zeus, utilitariste, et mesquin: rapporter le maximum avec le minimum d'investissement.
Est-ce normal si je dis que tout cela ne m'étonne pas (le niveau des élèves, leur comportement, celui de leurs parents...) ? Parmi bien d'autres choses, cela fait partie des principales raisons pour lesquelles je n'aurais pas souhaité être enseignant, singulièrement en collège qui me paraît être le pire niveau.
Moi, je garde un excellent souvenir de mes voyages au collège. Et je précise que la personnalité du Principal de collège me semble très important pour imposer le respect (je me souviens qu'à l'époque, ça filait droit et les écarts étaient vite sanctionnés). Je serai pas un peu vieux con moi aussi ? (enfin, j'assume).
Les voyages sont pour moi aussi parmi les plus beaux souvenirs de ma carrière d'enseignant, Cornus. mais aujourd'hui, je n'ai plus envie. Je risquerais de gâcher quelque chose.
Tout cela ne m'étonne guère...
Ce qui me frappe à l'heure actuelle, c'est l'âge de plus en plus précoce de "la petite délinquance". Et nous sommes servis ici dans le Sud !
Quand j'observe les parents, notamment dans les transports en commun, je me demande souvent pourquoi ils les ont fait : d'un côté, certains s'en foutent complétement et les livrent au monde comme ça, de l'autre, on dirait que ce sont leur petit trésor, un prolongement d'eux même un peu... sacré. En tout cas, confession : je suis pas du genre à avoir peur des gens mais je suis plutôt méfiant en général et ma méfiance se tourne beaucoup... vers les 10-15 ans.
Je ne sais pas, Discrète, si nous sommes déjà dans la petite délinquance, mais je crains que ces quelques "zozos" n'y aillent directement.
Bonne analyse, Nicolas, sur le ressenti des parents face à leur progéniture. Enfin, ceux-là font au moins partie de ceux qui ne les mettent pas directement au congélateur!
Les professeurs ne font que subir l'incurie des parents à éduquer leurs enfants, et une société matérialiste qui élève la frime et le consumérisme au pinacle...
Je suis triste de lire ces lignes, et une colère légitime triste de lire le mépris affiché des parents pour les "subalternes" : prof ou controleurs... et la stupidité ambiante...
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