vendredi 25 juin 2010

Fin juin

24 juin, Saint-Jean-Baptiste. La fête de la lumière qui rassure et du feu qui purifie. Un moment de l'été, de ceux qui marquent des jalons. Et pour moi, ce n'est pas ça. Essayer de dire ce que j'ai à dire sans pathos, sans mièvrerie, parce qu'ici je suis venu il y a deux ans pour dire, pour me dire avant tout et uniquement, à moi, à moi seul, parce que l'écran avait libéré la pensée et la main comme jamais la feuille ne l'avait fait et que je croyais écrire un journal intime à moi seul destiné.

Cette fin de juin, c'est la mort, pour moi. Le soleil apparaît et des êtres chers s'évaporent. Les longs jours sont synonymes de souffrance et la canicule de besoin de se perdre, de tenter d'oublier ce que je sais ne pas pouvoir gommer.

Le 28 juin, il y a cinq ans mourait Pierre. Il y a cinquante-sept ans, c'était mon père, celui que je n'ai jamais connu, qui s'en allait le jour de la fête du village, dédié à St Jean-Baptiste. L'an dernier, Kicou partit le 24 et cette année c'est Danielle. Ils s'en vont tous dans la lumière et il faut que j'apprivoise l'ombre.

Et hier, c'était aussi le repas de fin d'année avec tous les collègues des autres établissements. J'y suis allé pour Joëlle, que j'aime profondément et qui rit parce que, comme moi, c'est un clown triste; j'y ai retrouvé Nicolas dont le regard me réchauffe et Jacky qui, en quittant définitivement l'enseignement, m'a serré dans ses bras comme si nous n'avions fait que ça dans toute notre vie. Le matin, c'étaient les quatrièmes qui m'ont organisé en latin un défilé de mode. La veille, c'étaient les troisièmes qui, à la fin des cours, alors que je me dirigeais vers le parking, m'ont fait une haie d'honneur qui m'a touché au plus profond.

Sur une photo de Stéphane, prise par surprise alors qu'Évelyne et moi choisissions le nouveau livre de latin, assis sur un banc au soleil, on nous voit tous les deux, la tête penchée sur un manuel, deux vieux complices attachés au même joug depuis si longtemps, deux enseignants en fin de carrière, deux vieux. Cette photo m'a ému parce que, au-delà de la révélation d'un physique vieillissant saisi sans prévenir, elle montre un immense tendresse, une sorte de parenté indissoluble.

Aujourd'hui, c'était la Loire, le pré de ma grand-mère, que je n'avais pas foulé depuis plusieurs décennies, les souvenirs qui affluaient à chaque sente descendant dans le bois jusqu'au ruisseau, à chaque arbre penché où dormaient les pintades, à chaque léger replat où nous construisions des cabanes, mon frère et moi, et où nous écrasions les fleurs de sureau pour tinter de rouge l'eau prise à la rivière. Nous l'avons parcouru, mon cousin et moi, jusqu'au fond et jusqu'au sommet de la pente et l'essoufflement que j'en ai ressenti, je ne sais s'il venait de l'âge ou de l'émotion.

Tout ce vrac parce que je n'ai pas envie de trier, je n'ai pas envie de composer, de frauder, parce qu'avant d'aller au lit, il fallait que je m'en débarrasse. Tout cela est du passé, n'est-ce pas, mais c'est le mien et il constitue aujourd'hui la plus grande partie de ma vie.

Il y a un an, lorsque j'avais annoncé la mort de Kicou, Danielle m'avait laissé un message. le voici:
Tous ces cadeaux qu'elle vous a faits...
Lequel s'imprimera prioritairement en vous ?
Amitié, silence, chaleur.


Je ne le sais pas. Ce que je sais, c'est que je n'ai pas encore bu cette mort et que celle de Danielle, que j'avais imaginé absurdement se produire le 24, comme Kicou, et qui s'est effectivement produite le 24, me laissera ce goût d'inachevé terrible puisque, malgré plusieurs tentatives, nous ne nous sommes jamais rencontrés. Il me reste d'elle aujourd'hui l'écho d'une voix dans mon oreille et quelques mots récents inscrits sur l'écran de mon téléphone portable.

Maintenant, il reste à affronter l'été.

5 commentaires:

Petrus a dit…

Merci pour ton bon moral !
Allez, haut les coeurs !

KarregWenn a dit…

Comme dit Petrus.
Et tu vois la Saint-Jean n'est pas que sombre, un défilé de mode en latin, une haie d'honneur, ils sont bien tes petits, et ils t'aiment !

Cornus a dit…

Eh bien, l'affreux que je suis pourrait dire qu'il ne croit pas beaucoup à la corrélation jours longs et mort même si de mon côté, les jours longs signifient aussi fatigue parce que je me réveille presque systématiquement trop tôt avec le jour.
Mais si je ne partage pas, je conçois ce que tu expliques : pas moyen d'en finir avec ces jours qui n'en finissent pas et s'évaporent que quelques heures d'une nuit peu profondes.

Et puis, il y a des tas de choses positives : tes élèves, des collègues t'aiment ou t'apprécient...

Et puis il y a l'évocation du pré de ta grand-mère, ce qui me touche à plusieurs titres.

Lancelot a dit…

Je ne savais pas.

Te serre. Fort

Calyste a dit…

Ne vous inquiétez pas! Simples petits passages... à l'ombre! Merci.