Deux enfants, deux enfances, l'une au japon en pleine guerre, l'autre à Naples dans l'immédiat après-guerre. Deux histoires contemporaines et concomitantes qui pourraient se faire écho et ne le font pas, aussi différentes que les pentes du Vésuve et celles du Fujiyama. Deux auteurs contemporains aussi et tout aussi dissemblables, Kenzaburô Ôé, pour Gibier d'élevage (Gallimard), et Erri De Luca, pour Le Jour avant le bonheur (Gallimard également).
Qu'est-ce qui fait donc que l'on s'intéresse davantage au roman d'initiation japonais qu'à l'italien? Car ce sont bien deux romans d'initiation dont il s'agit, tentatives de comprendre cet ultime instant de l'enfance qui bascule dans l'âge déjà adulte, un peu comme une Annonciation civile. Tandis que le napolitain apprend la résistance, l'abandon de ses parents, la violence, l'amour et le sang, le jeune japonais découvre un prisonnier noir, seul rescapé d'un avion ennemi qui s'est écrasé dans la montagne et que son village, coupé du monde par des intempéries, doit garder en entendant le transfert à la ville la plus proche puis à la préfecture.
Ici, on ne sent qu'une transposition poétisée (parfois joliment) de clichés éculés sur l'Italie du sud, une hésitation entre plusieurs styles d'écriture, entre plusieurs genres littéraires et l'on reste totalement extérieur au destin du protégé de Don Gaetano. Décidément les romans de De Luca ne me plaisent pas et je leur préfère nettement ces petits essais.
Là au contraire, dès la première page, on est pris par un style limpide et concis, littéraire sans coquetterie aucune, on regrette, le sommeil venant, de devoir fermer le livre sur cette histoire simple, on entre en communion avec cet être si lointain géographiquement et culturellement parce son histoire est un archétype (et non pas un cliché), on n'est pas surpris de découvrir que ce texte a valu à son auteur le prix Akutagawa (équivalent Goncourt) en 1958.
Dans la soirée qui suivit notre baignade à l'antique, une averse diluvienne emprisonna la vallée dans un nuage de brume, et ne cessa pas de tomber jusque fort tard dans la nuit. Le lendemain matin, avec mon frère et Bec-de-Lièvre, je portai à manger au soldat noir, en longeant le mur de la resserre pour éviter la pluie qui continuait à tomber. Son déjeuner pris, le Noir, les bras autour de ses genoux, chanta doucement une chanson, au fond de la cave obscure. Tout en recevant sur nos doigts allongés les éclaboussures de pluie qui nous arrivaient par le soupirail, nous étions emportés par la houle de cette voix grave, solennelle, se propageant de proche en proche. Quand le chant cessa, il ne pleuvait plus par le soupirail: nous prîmes par le bras le Noir qui souriait toujours, et nous l'entraînâmes jusque sur la place. En un clin d'œil le brouillard disparut, dégageant le ciel au-dessus de la vallée; les feuillages gorgés d'eau, alourdis, avaient pris du volume, comme de jeunes poulets. A chaque coup de vent, les arbres, secoués de menus tressaillements, éparpillaient feuilles mouillées et gouttes de pluie; cela produisait de minuscules et fugitifs arcs-en-ciel parmi lesquels s'élançaient des cigales. Dans la chaleur renaissante et l'ouragan sonore des cigales, nous nous assîmes sur le seuil de pierre, à l'entrée de la cave, et là, longtemps, nous remplîmes nos poumons d'un air qui sentait l'écorce mouillée.
(Kenzaburô Ôé, Gibier d'élevage, Gallimard. Trad. de Marc Mécréant)
samedi 19 juin 2010
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