Lorsque Pierre est mort, il y a cinq ans ce matin à 11h, je n'imaginais bien sûr pas tous les changements que cette disparition allait apporter à ma vie. J'avais souffert de sa longue agonie et de le voir réduit à un état de presque légume, lui qui intellectuellement était si brillant. J'étais assommé, ce 28 juin 2005, fête de la Saint Irénée, son patron d'ordination, la veille de la Saint Pierre, sa fête à lui. Il faisait très chaud, comme aujourd'hui, et les quelques nuits passées à la clinique, dans sa chambre, sur un lit d'appoint, avec une alarme de matelas anti-escarres qui se déclenchait tous les quarts d'heure, avaient eu raison de mes dernières forces. C'est dans un état second que j'avais vécu les quelques jours séparant le décès de la sépulture. Je n'imaginais rien. Je devinais simplement que la suite n'allait pas être facile.
Et elle ne le fut pas. L'été qui suivit, la solitude, le cercle des amis qui se dissout peu à peu, toute la paperasse à fournir, à remplir, à rédiger, à signer... Au début, cela occupe l'esprit. Ensuite on ne supporte plus, on a envie de hurler de nous laisser tranquille avec notre chagrin. La rentrée fut la bienvenue avec un travail de romain pour la mise en place de nouveaux projets pédagogiques. Je savais que l'abrutissement à la tâche n'est pas le remède le plus indiqué mais je n'avais rien d'autre à disposition. Les mois suivants furent consacrés à la reconstruction de ma vie, amicale et sentimentale, à l'écriture de ces Lettres à Pierre qui me libérèrent d'un poids encore trop lourd, à la prise en charge de plus en plus importante de mes parents puis de ma mère seule à la mort de mon père, à la tentative, souvent avortée de retrouver un semblant d'équilibre qui ne s'effondre pas au premier accroc, à la rédaction de ces billets, à l'époque véritable thérapie psychique pour moi.
Aujourd'hui, qu'en est-il? Ce qui m'a paru un moment essentiel s'estompe parfois au profit d'autres points d'ancrage tout nouveaux, les passions (écriture et photographie) sont restées. Certains sont sortis de ma vie, d'autres y sont entrés, l'appartement se transforme peu à peu, je jette, je rachète, le cadre change.
Ce matin, à 11h, je n'ai pas pensé à Pierre, plongé que j'étais dans la mise en place pédagogique de l'an prochain. Je n'y ai que peu pensé aujourd'hui, et lorsque cela s'est présenté à moi, je n'en ai pas été troublé. S'il reste des points à consolider, ce n'est pas sur le deuil: celui de Pierre est fait et je peux maintenant penser à sa mort sans en souffrir de façon trop violente. Simplement, simplement, j'ai l'impression d'avoir beaucoup vieilli depuis qu'il n'est plus là, physiquement et psychologiquement. Les choses, les gens autour de moi ne m'intéressent plus de la même façon. Maintenant, je me protège davantage, même sans le savoir. Je crois que je suis presque sans cesse à la recherche du plus grand calme, de l'absence de conflit stérile. Autrefois, comme le taureau sur le chiffon écarlate, je me précipitais sur les difficultés, je me battais bec et ongle pour défendre mon point de vue et le faire partager. Aujourd'hui, je me moque bien qu'il soit partagé et je ne fais front que si cela est inévitable. Ma philosophie s'est faite plus personnelle, plus égoïste sans doute mais aussi plus reposante pour moi-même. Aux autres de l'accepter ainsi ou pas. J'aime ceux qui me font face mais plus au point de m'oublier moi, comme autrefois. Ces dernières phrases ont peut-être un aspect un peu acide, pourtant elle ne le sont pas. Simple prise de recul pour profiter davantage du beau de la vie.
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4 commentaires:
Bien sûr très touché par cette évocation.
Heureusement rien à voir avec le souvenir douleureux que tu évoques, mais la fin juin 2005 a aussi marqué un premier tournant décisif dans ma vie. Cela n'a pas généré de terribles souffrances, mais un important remue ménage qui a duré plus de trois mois pendant lesquels je perdais un peu mes repères dès que je me retrouvais seul le soir chez moi devant l'ordinateur. Heureusement, j'ai fini par faire les bonnes rencontres et cela s'est bien terminé.
Tu dis que tu te battais pour défendre ton point de vue. Je crois bien là me reconnaître aussi un peu. Je suis encore comme ça au fond de moi-même, mais j'ai fini par apprrendre une certaine mesure. J'ai sans doute appris à être un peu moins sûr de moi, à davanatge écouter les points de vue divergents. Plus que de la sagesse, c'est plutôt de la paresse de ma part ou l'évitement des conflits, souvent plus ou moins stériles. Mais il m'arrive encore de succomber à la polémique, le jeu étant d'aller le plus loin possible dans la mauvaise foi. Mais ce jeu n'est permis qu'avec de rares personnes qui sont conscientes du jeu. J'ai fait plusieurs fois l'amère expérience que certaines personnes prenaient tout ce que je disais au premier degré ou n'acceptaient pas mes propos nécessairement outrés. De ce côté là, je suis encore un peu un sale gosse.
C'est très bête mais ce texte, avec une date et un peu en forme de mise au point m'a un peu rasséréné. Venu me balader ici tardivement, j'ai découvert ce deuil par bribes, ton Pierre me faisait l'effet d'un fantôme parcourant ton blog. Les choses sont à leur place maintenant.
Sinon, juin 2005, étrange paradoxe qui n'a pu que me frapper, c'est le début de mon histoire d'amour avec Vladimir...
"Tu es Pierre et sur cette pierre je construirai mon Eglise" St Jean.
Je ne te connais que depuis 2 ou 3 ans mais le "Potomac" d'aujourd'hui est plein d'équilibre...
Bises.
Cornus et Karagar:On n'imagine guère, lorsque l'on souffre, que d'autres puissent être heureux au même moment. C'est pourtant normal et même quelque part rassurant.
Plein, je ne sais pas, Philippe. En tout cas probablement en meilleur état.
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