lundi 15 juin 2009

Orage

Tout à l'heure, l'orage grondait, il tombait de trombes d'eau. Je rentrais à vélo, complètement trempé, des soins palliatifs où Kicou a été admise vendredi.

Mon appartement était plongé dans l'obscurité. Je n'ai pas éclairé. J'avais perçu dans l'air quelque chose de mon enfance à la campagne, lorsque la nature s'exprimait sans tenir compte de nous, lorsque nous l'avions bien en face, sans le masque de l'éclairage urbain, des immeubles serrés et des phares de voitures. Il est rare d'éprouver cela en ville. Je l'ai surpris en rentrant chez moi. Même quand j'étais enfant, je n'avais pas peur de l'orage, j'ai toujours aimé ces manifestations violentes de la nature. J'étais le seul vélo à rouler dans les rues, j'ai failli glisser et tomber près de la Part-Dieu sur les rails du tram. Mais je n'ai pas eu peur, cela ne m'a pas arrêté: j'aime sentir la pluie frapper sur moi, me transpercer, je regrette toujours de ne pas être nu dans ces moments-là. Quand je me laisse faire par les éléments, il me semble être plus près de ce que je suis réellement, animal solitaire partie intégrante du monde brut.

Seules quelques lueurs éclairaient le salon et je le redécouvrais tel que je ne le regarde jamais sous la lumière électrique. Il avait une autre vie, la sienne propre comme si j'étais absent et qu'il retrouvait son vrai visage. Sur le ventre du piano, un reflet vacillait, le rendant vivant, maître de la pièce où les autres meubles totalement tapis dans l'ombre semblaient l'écouter raconter une histoire d'avant l'humain. Je me suis senti étranger, comme intrus chez moi, remis à une place lambda par toutes les autres formes de vie.

Comment exprimer plus clairement ce que j'ai ressenti? Peut-être était-ce aussi lié à ma course dans les rues inondées, moi même dégoulinant de pluie, peut-être y avait-il beaucoup de l'après clinique, de Kicou dans cette chambre entièrement refaite à neuf, avec des décorations au pochoir, tellement féminine, tellement trop féminine, alors que la mort est là maintenant, tôt ou plus tard. La dureté du monde, son mystère froid étonnamment me rassurent toujours dans ces moments de flottement. Je ne suis pas homme à me réfugier, après une épreuve, dans une chambre douillette ou dans des bras compatissants. Il me faut être seul et face à la pluie, à l'orage, au vent, à la nuit, à tout ce qui me dépasse mais dont la dureté me permet de m'accrocher, de retrouver un point d'appui solide. Après seulement, je rejoins l'humanité et j'éclaire la première lampe.

4 commentaires:

Lancelot a dit…

Bah, tant qu'il y a un "après" le premier moment du désir de solitude.... L'essentiel est que tu ne refuses pas les bras compatissants EN PERMANENCE... Ca te va pas de jouer les ours sauvages, même trempé jusqu'à l'os...
Et puis, c'est pas agréable de se faire frotter le dos vigoureusement avec une serviette après le déluge ?
Allumer la lumière ou pas, c'est pas grave : certains gests sont encore meilleurs dans le noir.

:-)

Calyste a dit…

Bien sûr qu'il y a un après, Lancelot. C'est d'ailleurs la condition "sine qua non" pour me laisser aller parfois à l'oursitude. Mais qu'on vienne me frotter le dos, là dans le noir, en me frôlant la nuque tendrement, et alors l'ours de met à ronronner.

MY a dit…

Vous me ressemblez...

Calyste a dit…

J'en ai déjà eu l'impression.