mardi 30 juin 2009

Le BNC

(Écrit ce matin, pendant l'examen)

Le DNB, Diplôme National du Brevet, version 2009: un texte de Le Clézio. Il fallait s'y attendre cette année. Curieusement, je n'ai jamais lu cet auteur. Je trouvais son écriture trop poétique. Aujourd'hui, j'aimerais, sans doute. En découvrant ces lignes, extraites de L'Enfant de sous le pont, j'ai pensé à Erri De Luca. Ces deux écrivains sont-ils réellement proches?

Les questions proposées aux élèves sont, comme d'habitude, d'une facilité déconcertante. Un bon cinquième parviendrait sans difficulté à répondre à la majeure partie d'entre elles. Mais ce qui me gêne le plus dans cette épreuve, c'est que tout vise à décortiquer le texte, à le réduire en dizaines de petits aspects qui, au final, en détruisent non seulement le caractère unique mais aussi l'atmosphère particulière. Comment un adolescent, à partir de ce fatras grammatical, pourrait-il apprécier la lecture d'un passage où tout, en réalité, est simple et donné d'emblée si on le lit sans grille de décryptage? Pire encore: comment, à l'inverse, un candidat sensible à la littérature pourrait-il ne pas considérer toutes ces questions pointilleuses et pointillistes comme d'un ennui mortel et d'un intérêt nul?
Je crois qu'il sera bientôt temps pour moi d'arrêter l'enseignement: je risque, sinon, de passer très vite pour un dangereux révolutionnaire.

Dans la salle, une photographie "colorisée" de Don Bosco, assez bel homme, et un crucifix sobre, léché par les traînées noirâtres de l'appareil de chauffage en dessous. La deuxième épreuve vient de commencer. A partir du texte de Le Clézio, il s'agit de rédiger un article de journal. Là aussi, rien de difficile, me semble-t-il. Ce qui le sera sans doute plus, c'est la correction. comment établir un barème de notation précis sur un tel devoir? Je pense que, comme d'habitude, les enseignants seront amenés à accepter, à tolérer un certain nombre de variantes, ce qui, au bout du compte, enlèvera toute valeur effective à cette évaluation.

Je suis allé chercher Nicolas ce matin. Nous nous sommes retrouvés assez tôt avec Isabelle à une boulangerie/bar près du lycée. Il nous a offert le café et les pains au chocolat. Il a accepté que je lui photographie l'œil. Lequel? m'a-t-il demandé: l'intérieur ou l'extérieur? celui qui s'ouvre sur la vie ou celui qui se cache davantage derrière la paupière? J'ai choisi celui qui se cache. Pour l'instant, Nicolas est assuré de 10 heures d'enseignement seulement, pas très loin de chez moi. Pas enthousiasmant mais mieux qu'il y a quelques jours. Je le ramène tout à l'heure, en repartant au collège. Ensuite? La suite sera ce que nous en ferons.

Avant de sortir ce matin, j'ai lu le long article que J. consacre aux 24 heures du Mans de roller. On y sent toute la joie qu'il y a ressentie, comme père et pour lui-même. Je suis toujours heureux de le voir vivant et passionné. Ça m'aide aussi.

Il fait de plus en plus chaud dans cette immense salle d'étude pourtant très fraîche dans la première partie de la matinée. Il faut dire que la chaleur animale (et parfois les odeurs) dégagée par plus de soixante candidats réunis là produit dans la pièce une sorte de microclimat à tendance équatoriale. D'ailleurs, à la fin de la matinée, il est possible que retentissent quelques cris et grognements directement inspirés de la faune amazonienne. Je pense pourtant que nos chers ados attendront plutôt demain pour s'exprimer aussi finement, juste avant de partir en vacances. Dire que je vais manquer ça!

Les élèves des Minimes et les nôtres sont mélangés pour le Brevet. Mais, si je ne connaissais personne, pourrais-je faire le différence? Mêmes vêtements, les filles nettement plus élégantes que les garçons, mêmes chevelures (avec, chez les mâles, une forte tendance à la tignasse épaisse), mêmes poses avachies. Il y en même un qui dort, la tête appuyée sur ses bras repliés sur le bureau. Les collègues d'ici qui surveillent avec moi sont sympathiques, sans plus. Rencontre occasionnelle dans le milieu professionnel, et qui n'aura pas de suite. Je pense bien sûr à -Y-, dont il me semble avoir compris qu'il a fait ses études ici. Il a dû connaître l'ancien père-directeur dont on m'a parlé et qui a été remplacé, depuis peu, par un plus jeune (laïc?) apparemment un peu froid et distant selon ma première impression.

Comme pressenti, la plupart ont déjà terminé. Pour eux, il s'agit d'une épreuve comme une autre, que l'on passe dans le même état d'esprit que celle des maths par exemple. Pas de recherche stylistique, les correcteurs s'estimeront contents si la copie n'est pas écrite en langage purement oral, pas de correction de brouillon. On se contente la plupart du temps d'un texte sans intérêt ni saveur, un exercice uniquement scolaire en somme. Combien en aurai-je lu et corrigé dans ma carrière, de ces textes insipides bourrés de fautes d'orthographe ou de syntaxe, où l'on sent la ficelle apprise en classe et l'ennui pour ce type d'exercices? Des centaines, des milliers de pages. Une Bible de "à la va comme je te pousse" dont les annotations n'auront même pas été lues et, si elles l'ont été, n'auront pratiquement jamais été prises en compte.

Je ne suis pas pessimiste en disant cela, simplement objectif et sans illusions inutiles sur ce qui se passe souvent aujourd'hui dans l'enseignement: on apprend des trucs, des façons de procéder, des moyens de réussite face à telle ou telle tâche, jamais (rarement?) on n'éduque au plaisir simple et gratuit d'un texte, à la joie d'une pensée, la douceur d'une atmosphère. Le seul moment, cette année, où j'ai parfois provoqué ce plaisir, cette joie, cette douceur dans l'attente, c'est au cours de certains ateliers-écriture ou quand, abandonnant ma progression pour une parenthèse que j'aurais voulu courte, je me suis laissé aller, entraîné par mes goûts, mes passions, mon enthousiasme pour tel ou tel point. Et là, j'ai vu des corps immobiles, des gestes inachevés, des yeux pétillants, un frémissement d'écoute, perceptible comme celui d'un enfant à qui son père, dans le lit le soir, raconte une belle histoire. Ce sont ces souvenirs-là que je garderai une fois à la retraite. Mais d'aujourd'hui, sans doute, il ne restera rien.

4 commentaires:

Lancelot a dit…

De Le Clezio, je n'ai lu que 'La Ronde'.
Bon, je sais que ça va pas faire sérieux et même un peu cliché de dire ça, mais : quel bel hommme...

Bien d'accord avec toi sur l'enseignement ctuel "on apprend des trucs, des façons de procéder, des moyens de réussite face à telle ou telle tâche" : le pire c'est que les profs (moi en tout cas) acceptent de jouer ce jeu-là dans l'optique (et l'obsession) de la réussite à l'examen. Tout ça parce qu'il faut absolument que l'école SERVE à quelque chose de CONCRET.

Il faudrait être prof d'atelier écriture en permanence.... ;-)

Océania a dit…

http://oceania55.canalblog.com/archives/le_clezio_j_m_g/index.html

Pour info, cher Calyste.
Pour vous faire une idée,
pour connaître la couleur.
Amicalement.

MY a dit…

Ah les Minimes. J'y ai passé toute ma scolarité. Des souvenirs à la pelle,bons ou mauvais et un esprit salésien bien discret pour cet établissement à la "clientèle" bourgeoise-catho hypocrite.
J'ai beaucoup de griefs contre cette "institution"....

Calyste a dit…

J'ai un collègue qui y a également fait ses études. Il en garde la même opinion que toi.