Hier après-midi. Il y avait un petit écriteau sur la porte de la chambre: "Si elle dort, ne la réveillez pas". J'ai attendu dans le couloir l'arrivée de Marie-Claire. Je l'avais prévenue de l'urgence, elle s'était libérée.
Quand nous sommes entrés, elle avait le corps droit et la tête penchée du côté que je ne voyais pas. Les stores de la fenêtre donnant sur la rue étaient baissés, la pièce était plongée dans la pénombre. J'ai cru un instant qu'elle était partie puis je me suis souvenu de l'écriteau: elle dormait. J'allais faire machine arrière quand j'ai vu qu'elle avait les yeux ouverts et peu à peu, elle a tourné la tête vers moi, comme sortie d'un long tunnel de méditations, l'air perdu de quelqu'un qui retrouve la réalité. Elle mit un instant à me reconnaître puis à voir celle qui était restée derrière moi. Son visage changea alors et sans doute exprimait-il pour elle une joie intense qu'elle parvint plus tard à traduire en mots. Mais à ce moment-là, c'est un rictus que je découvris sur sa face, comme si une douleur ancienne se réveillait.
Marie-Claire s'approcha et pendant leurs retrouvailles, j'arrangeai les sièges et les tablettes autour de son lit pour nous installer. Elle m'embrassa ensuite, longuement, à petits coups, comme on boit après une course qui nous a déshydratés. Ses premiers mots, à peine audibles, répétés en essoufflement, furent: "Ne partez pas! Je ne veux pas partir. Je vous aime tant."
Alors, quand nous l'eûmes rassurée, elle voulut organiser l'instant, pour que tout soit parfait, comme elle l'a toujours fait quand elle recevait. Elle me donna un livre et me le dédicaça, elle voulut à tout prix retrouver une lettre qu'elle avait écrite pour ses trois fils, "elle est dans une chemise mauve", et nous fit promettre de la leur donner si Georges oubliait son existence.
Puis elle me demanda de l'eau, un peu plus d'eau: "Ils ne veulent pas que je boive trop, va chercher un autre verre et tu diras que c'est pour toi." Je savais qu'elles avaient à parler toutes les deux. Je les laissai. Moi, j'ai souvent été seul avec Kicou. Quand je revins dans la chambre, elle me prit la main, et dans l'autre celle de Marie-Claire. "La porte est fermée, hein? On peut tout se dire, on peut tout se dire." Elle répétait toutes ses phrases deux fois, comme si elle n'était pas très sûre de les avoir bien prononcées. Alors, elle dit:" J'ai peur de mourir", et ne le répéta pas.
Dans le couloir, en partant, j'ai demandé à Marie-Claire de ne pas pleurer, pas devant moi.
Le courage qu'il faut pour dire: "J'ai peur de mourir.". Si on le dit quand on sait que l'on va mourir. L'humilité, la preuve d'amour partagée avec d'autres, avec si peu d'autres. Pourrais-je le dire, moi, aussi simplement, avec autant d'effroi et autant de conscience, quand ce sera mon tour? Kicou donne. Elle m'a encore fait ce cadeau hier.
Tout à l'heure, j'ai eu un message de Marie-Claire sur mon téléphone portable. Elle est allée, comme prévu, passer un moment avec elle cet après-midi. "Elle n'est déjà plus là, elle ne parle pas, elle a de grands soupirs...."
mardi 23 juin 2009
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2 commentaires:
Nous ne pouvons que suivre cet accompagnement dans un profond silence. La délicatesse de ton témoignage, en tout cas chez moi, fait toujours résonner une corde particulièrement sensible.
Avant-hier, j'ai été chercher mon planning à la maison de retraite où je vais travailler cet été et où j'avais déjà effectué deux stages. Parmi les résidents dont je m'étais occupé trois mois plus tôt, certains manquaient à l'appel.
Ce sont des sujets de méditations qu'il ne faut pas occulter, même si ça nous coûte quelques angoisses, quelques larmes : il en va de notre définition de la Vie.
De la définition et, plus encore, du sens que l'on veut lui donner.
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