Lui, je ne l'ai jamais oublié. Rencontré au même endroit, exactement que le précédant et que J. Un endroit magique? Pourtant rien de particulier dans ce parterre de fleurs et cette pelouse parfois jaunissante qui encerclent la statue de De Boissieu, le célèbre botaniste, au parc de la Tête d'Or.
Ce qui m'avait frappé d'abord, c'est son aspect très dur, silhouette sans un pouce de graisse, cheveu court, en brosse, visage fin et "serré" et aucun sourire aux lèvres qu'il tenait hermétiquement closes comme s'il redoutait de mordre. Il n'était pas très grand mais avait la beauté d'un modèle plus élancé, un peu comme un bonsaï reproduit dans ses proportions plus réduites l'arbre de dimensions classiques. Il n'était pas petit non plus. Tout juste parfait dans les proportions.
Comment aborder une telle bête, si belle et si fière? C'est lui qui fit le premier pas. Sans doute ma jeunesse d'alors (je devais avoir tout au plus vingt-cinq ans) réussit-elle à le convaincre. A moins que ce ne soit la feinte indifférence que je jouais à quelques pas de lui alors que je bouillais à l'intérieur. Un premier pas un peu brusque et froid, comme un reproche, mais un premier pas tout de même. C'est à ce moment-là que j'ai remarqué ces yeux, en harmonie parfaite avec le personnage: des yeux d'un bleu de glace, comme on en voit sur les sommets quand le soleil brille sur les névés. Un bleu à vous pétrifier, qui avait dû en intimider plus d'un, en refroidir bon nombre. A moi, il ne fit rien de cela. Je le trouvais beau, simplement, et il l'était.
Il m'emmena chez lui, tout près d'un centre de recrutement des armées, et ce chemin jusqu'à sa chambre, je le fis maintes fois ensuite, seul, sans besoin de guide, sans me tromper. Il ne se dérida pas pendant le trajet. D'ailleurs, n'avions-nous pas chacun notre voiture. Quoi qu'il en soit, l'individu sur le palier était le même que celui du parc, sans un sourire de plus, sans un signe d'une quelconque attirance. Mais lorsque nous nous retrouvâmes près du lit, la froideur se transforma en ouragan, d'une virilité incroyable, presque violente et pourtant pas.
J'ai tout de suite adhéré à sa façon de faire. Elle me convenait et retrouvait la mienne propre, celle de ma vraie nature. Nous étions à la fois semblables et complémentaires, on aurait dit que nos deux corps se connaissaient depuis longtemps et qu'ils savaient comment se faire plaisir, comme se faire geindre ou sourire. Car il sourit alors, et quel sourire! Il me remerciait: il m'avait testé et j'avais réussi l'épreuve. Ce qu'il voulait, c'était un homme dans son lit, pas quelqu'un prêt à n'importe quel compromis pour se "faire" un si beau spécimen. Visiblement, j'avais réussi l'examen de passage.
J'eus donc plusieurs fois pour moi seul ce grand aryen dans son lit. Caresser ce corps parfait, ces muscles allongés et gracieux, ce ventre plat, ce sexe vivant, embrasser ce marbre qui pour moi prenait vie, sentir son odeur légère, me dire que j'avais là sans doute un des plus beaux mâles de la place de Lyon, et recevoir de lui l'identique de mes caresses et de mes recherches hasardeuses ou conquérantes, ce bonheur-là peut-être en ai-je plus conscience aujourd'hui qu'au moment où je le vivais, tant on finit dans la vraie vie par trouver normal ce qui nous a semblé au départ extraordinaire.
A aucun moment, notre désir réciproque ne faiblit. Nous arrêtions parfois nos joutes érotiques pour parler un moment. J'en sus ainsi un peu sur lui, des anecdotes, par exemple le fait qu'il ait travaillé un temps pour Mireille, celle du Petit Conservatoire, et qu'il ne l'ait pas du tout appréciée. Mais il resta toujours assez vague sur ce qu'il était réellement. Cela me convenait d'ailleurs. C'est un trait caractéristique du monde homosexuel, un que j'apprécie, que de ne pas avoir besoin de certificat de naissance ni de curriculum vitae pour être bien, un moment ou plus longtemps, avec quelqu'un.
Un jour, il me dit qu'il allait déménager. Je ne lui ai pas demandé sa nouvelle adresse, dans une autre ville. Il n'a pas proposé de me la donner. Cette histoire avait été belle ainsi, comme une parenthèse qu'il fallait ne pas oublier de refermer si l'on ne voulait pas en perdre au vent tout le fragile contenu. Il disparut donc de ma vie. Je sus plus tard de façon presque certaine qu'il était militaire, gradé, et que son "déménagement" devait en fait être dû à une autre affectation.
Je ne sais plus son prénom, mais mettez-moi en face de lui dans la rue, et je vous dirai: c'est lui. Il m'appelait "son petit soldat". Moi seul (et lui), je sais pourquoi.
lundi 1 juin 2009
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4 commentaires:
Un bon petit soldat toujours au garde à vous, prêt à présenter les armes...;-)
Perdu, Piergil. Ce n'est pas pour cette raison! Mais c'était bien pensé...
La petite Mireille n'avait vraiment pas l'air accomodante en plus d'être autoritaire !
Je partage votre avis, Discrète.
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