mercredi 27 mars 2019

Lyon et Rousseau

Suite à ma promenade de dimanche, j'ai eu envie de relire les passages des Confessions de Rousseau sur la bonne ville de Lyon. En voici deux extraits dont l'un (le second) m'a particulièrement fait rire.

- Je me promenais dans une sorte d’extase livrant mes sens et mon cœur à la jouissance de tout cela, et soupirant seulement un peu du regret d’en jouir seul. Absorbé dans ma douce rêverie je prolongeai fort avant dans la nuit ma promenade sans m’apercevoir que j’étais las. Je m’en aperçus enfin. Je me couchai voluptueusement sur la tablette d’une espèce de niche ou de fausse porte enfoncée dans un mur de terrasse : le ciel de mon lit était formé par les têtes des arbres, un rossignol était précisément au dessus de moi ; je m’endormis à son chant ; mon sommeil fut doux, mon réveil le fut davantage. Il était grand jour : mes yeux en s’ouvrant virent l’eau,la verdure, un paysage admirable.

Lyon, septembre 1731

Cependant je crois me rappeler, dans le même intervalle, un autre voyage de Lyon, dont je ne puis marquer la place, et où je me trouvai déjà fort à l'étroit. Une petite anecdote assez difficile à dire ne me permettra jamais de l'oublier. J'étais un soir assis en Bellecour, après un très mince souper, rêvant aux moyens de me tirer d'affaire, quand un homme en bonnet vint s'asseoir à côté de moi ; cet homme avait l'air d'un de ces ouvriers en soie qu'on appelle à Lyon des taffetatiers. Il m'adresse la parole ; je lui réponds : voilà la conversation liée. A peine avions-nous causé un quart d'heure, que, toujours avec le même sang-froid et sans changer de ton, il me propose de nous amuser de compagnie. J'attendais qu'il m'expliquât quel était cet amusement ; mais, sans rien ajouter, il se mit en devoir de m'en donner l'exemple. Nous nous touchions presque, et la nuit n'était pas assez obscure pour m'empêcher de voir à quel exercice il se préparait. Il n'en voulait point à ma personne ; du moins rien n'annonçait cette intention, et le lieu ne l'eût pas favorisée. Il ne voulait exactement, comme il me l'avait dit, que s'amuser et que je m'amusasse, chacun pour son compte ; et cela lui paraissait si simple, qu'il n'avait même pas supposé qu'il ne me le parût pas comme à lui. Je fus si effrayé de cette impudence que, sans lui répondre, je me levai précipitamment et me mis à fuir à toutes jambes, croyant avoir ce misérable à mes trousses. J'étais si troublé, qu'au lieu de gagner mon logis par la rue Saint-Dominique, je courus du côté du quai, et ne m'arrêtai qu'au-delà du pont de bois, aussi tremblant que si je venais de commettre un crime. J'étais sujet au même vice ; ce souvenir m'en guérit pour longtemps.

Pauvre Rousseau ! Seul ou mal accompagné ! 

4 commentaires:

Pippo a dit…

La première phrase est d'une telle suavité. A-t-on écrit avec tant de douceur avant Rousseau ? Cordialement,
Pipo.

Cornus a dit…

Oui oui... Et sais-tu où il évoque son passage dans le Pilat ?

Calyste a dit…

Pipo : celle du premier texte, oui. Magnifique.
Bonne nuit.

Cornus :je pense dans Les Rêveries, sans en être sûr, mais il me semble me souvenir d'une description très noire de la sauvage vallée du Gier avec ses faiseurs de charbon de bois.

Cornus a dit…

Bon, je vérifierai...