J'ai hésité à écrire cet article, tant je ne veux pas tomber dans la répétition de cette antienne que j'exècre : c'était mieux avant ! Pourtant c'est bien ce que j'ai ressenti hier soir lors du buffet qui réunit traditionnellement en fin d'année les établissements de mon ancien centre scolaire. Six établissements autrefois unis par des actions, des espoirs, des rêves communs et une vie débordante, aujourd'hui simple juxtaposition hétéroclite à laquelle s'adjoindra pourtant un septième à la rentrée prochaine.
J'ai l'impression qu'aujourd'hui au collège (et dans l'ensemble du centre d'ailleurs) l'apparence compte davantage que le fond et l'intelligence pédagogique. On a remplacé l'ancien portail par un autre ajouré, donnant sur les parkings. Le grand escalier conduisant autrefois au couvent a été repeint, lui qui, tout le temps que je suis resté, n'a jamais connu un pinceau. On y voyait jadis les traces plus claires laissées par les tableaux que les sœurs y avaient accrochés et qui dorment sans doute aujourd'hui dans l'un des immenses greniers sous la charpente. Mais cette propreté et ses couleurs (gris et rouge éventreur) ne me touchent pas. Je leur préfère la tendresse de la patine et cette ostentation me choque à l'égal de ce que j'éprouvai un jour devant la façade trop restaurée d'un des palazzi de la place des Tortues à Rome.
A l'étage où je sévissais, les classes en face de la mienne ont été refaites. Elles ne sentent plus rien et s'offrent, impudiques, au regard par des parties vitrées donnant sur le couloir. Comme si, aujourd'hui, tout se jouait dans la transparence et le contrôle. La mienne n'a pas changé : les mêmes bureaux, bancals mais encore couverts des égratignures de générations d'élèves ennuyés ou révoltés, le même carrelage au sol avec sa déclivité au milieu, à l'endroit où jadis un mur séparait les chambres de deux pensionnaires, le même placard, au fond, où j'entreposais les livres d'une petite bibliothèque de prêt et que personne n'a déplacé d'un centimètre pas plus que l'étagère que j'y avais adjointe. Devant le tableau, un simple petit bureau auquel j'en avais rajouté un second pour le fouillis de mes cours. Comme si l'ambition professorale s'était depuis rétrécie. Je l'ai regardée une dernière fois, sans nostalgie, puisqu'elle aussi va être restaurée lors de ces vacances d'été.
A cause du temps menaçant, seul l'apéritif fut servi dehors, sous le cloître, après d'interminables discours dont, comme à l'accoutumée, je n'écoutai pas un mot. Pas de nouvelles retraites cette année mais la remise des palmes académiques à l'une des directrices, moment d'un grotesque achevé où l'on eut droit à ce qu'il faut bien appelé un chant(de louanges) faute d'autre mot et à un chœur brandissant de maigres palmes de plastique dignes des étalages du plus sordide des bazars qui rejoignaient dans le ridicule les poissons de même matière apparus dans une mise en scène récente d'Idoménée à l'opéra de Lyon.
Le repas eut lieu au gymnase où je n'ai jamais connu de contraste plus saisissant entre la boursouflure des noms donnés aux plats qui nous étaient servis, censés relever de la cuisine libanaise (à cause d'une coopération, que je découvrais pour l'occasion, avec le collège de Beyrouth où j'ai séjourné autrefois) - blancs de poulets trop secs et riz insipide suivis d'une crème parfumée à la rose dont la saveur m'a rappelé un déodorant bas de gamme - et la vétusté du lieu où l'on avait tenté de cacher les agrès et les tapis de caoutchouc derrière des décorations à pleurer.
Beaucoup de mes ancien(ne)s ami(e)s n'étaient pas là, l'une à cause d'un match de football se jouant à Lyon, l'autre prise par un spectacle, un autre par une déprime, une autre en chimiothérapie, la plupart sans doute indifférents à ce qui se passait ce soir-là. Seul l'ancien directeur général promenait sa silhouette de plus en plus efflanquée et son buste penché vers la terre, avec l'air d'un homme qui assisterait à l'effondrement de ses rêves. Les autres, présents et encore en activité, échangeaient sur des élèves que je ne connais plus ou des anecdotes que je ne pouvaient pas comprendre.
Puis on nous réunit dans la cour pour un feu d'artifices destiné à clore rapidement cette soirée (qui autrefois se prolongeait jusque tard dans la nuit), ce qui me confirma que tout, maintenant, était fait pour en mettre plein les yeux en oubliant les cœurs et les têtes. Je ne me suis pas attardé. En quittant le collège, j'avais la sensation de sortir d'un cirque où je refusais de jouer le rôle du clown triste.
vendredi 17 juin 2016
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5 commentaires:
Des fois, c'était vraiment mieux avant ! A te lire, si tu ne retrouves pas tes collègues amis la prochaine fois, je doute que tu y retournes. Personnellement, je me poserais sans doute le même type de question. Je pense que tu as eu une sensation proche de celle que j'ai connue quand j'étais retourné à Chinon il y a deux ans, avec beaucoup de changements dans les intérieurs des bâtiments et pas assez de têtes amies.
Cornus : c'est ça et ce n'est pas ça. Ce qui m'a le plus peiné, ce n'est pas l'absence de mes amis, que je peux voir par ailleurs, mais la dégradation de la qualité de ces établissements (pédagogiquement parlant)qui furent pour moi des phares et où je suis vraiment heureux d'avoir travaillé.
Oui, j'avais bien compris aussi, mais pour ça, je n'ai pas de point de comparaison personnel.
Cornus : Fromfrom ne ressent-elle pas ça, parfois ?
J'imagine que non, car elle n'est pas restée assez longtemps dans une seule école. Et en plus, dans certaines écoles, les directrices étaient (sont) assez mauvaises, et parfois, la majorité du corps enseignant. Globalement, selon Fromfrom, les enseignants sont trop souvent assez médiocres, professionnellement et humainement. Enfin, je réponds encore à sa place, mais je crois qu'elle ne me démentira pas.
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