En rentrant du mariage dans le Gard, j'ai suggéré à Émile, plutôt que de prendre l'autoroute, de remonter par la Nationale 86, longeant le Rhône sur l'autre rive par rapport à la célèbre Nationale 7. Je l'ai toujours trouvée beaucoup plus belle et moins ennuyeuse. Et puis, en l'empruntant, c'est le livre de mes souvenirs que je relis page à page, des maisons où j'ai été heureux, autrefois.
La maison de Paul, d'abord, à Uzès, à l'ombre du château ducal, une maison étroite, une pièce à chaque étage sur trois niveaux. La vigne qui s'accrochait à la façade, la fenêtre de ma chambre donnant sur la garrigue à perte de vue, les concerts dans la cour de l’Évêché, le marché sur la place aux Herbes, les nuits douces sur la promenade Racine. Et les conversations sans fin avec Paul, vieux monsieur d'origine juive russe et autrichienne à la fois, traducteur de l'anglais et de l'italien, un peu auteur de romans policiers dans sa jeunesse. Paul qui m'a quitté un mois après Pierre.
La maison d'Amédé aussi, à Avignon, précédée d'une courette débordant de fleurs et de plantes, où il faisait frais, même en été, et d'où nous partions pour nos périples à Gordes, Sénanque, Silvacane, Arles, Montmajour. Les repas qu'il me préparait sans en avoir l'air, comme si la cuisine était un art facile. Les huîtres et les crustacés auxquels j'avais droit presqu'à chaque fois, parce qu'il savait que j'aimais ça. La dernière promenade, un jour, où je l'ai vu peiner dans la pente, sans savoir la gravité de son mal qu'il tenait à me cacher. Il est parti lui aussi, une semaine avant les vacances de février où je devais descendre le voir.
La maison de Kicou enfin, à Chavanay, plus près de Lyon, où j'ai connu les plus belles fêtes de ma vie. Son grand jardin d'où nous voyions le ruban miroitant du Rhône, en contrebas, et les pré-Alpes dans le lointain. Le saule pleureur qui abritait nos apéritifs, le vieil escalier de pierres branlantes qui menait du jardin à la cuisine, la cave voûtée où, aux anniversaires, nous buvions des litres de ponch en refaisant le monde et en oubliant notre âge, la chambre jaune, la chambre bleue, les sculptures de son père, la tête de Christ dont elle me fit don et qui est toujours dans ma chambre. La maladie a eu raison d'elle aussi, malgré son courage, malgré son amour de la vie.
Il y avait autrefois tout au long de la route des roses trémières qui me faisaient aimer ces voyages. Elles n'y sont plus aujourd'hui. Mes amis non plus.
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3 commentaires:
Oh que cette note est triste.
Oui, triste et mélancolique..
Mais tu fais très bien revivre tes souvenirs et je suis sur que tu es encore doué pour le bonheur.
Cornus : plutôt nostalgique (ça m'arrive).
Jean-Pierre : j'espère bien !
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