Hier soir, moitié dormant, moitié veillant, j'ai regardé le film Philadelphia, un des premiers prenant pour thème le sida, film déjà vu à sa sortie en France en 1994. Là aussi, un souvenir a ressurgi de mes années au collège.
Le professeur de musique de l'époque était une vieille fille très catho (de ceux que je n'aime pas), toujours habillée de la même façon : petit chemisier blanc, jupe écossaise et souliers vernis, avec une barrette dans les cheveux et une voix que n'aurait pas reniée un mâle. En fin de carrière, elle ne se rendait pas compte qu'elle ennuyait prodigieusement les élèves en tentant chaque année de leur apprendre "Colchiques dans les prés". Pourtant, elle pouvait aussi être agréable et parfois drôle et, finalement, j'avais décidé de lui épargner mes sarcasmes.
Un soir, pourtant, tout bascula. Je me trouvais seule avec elle en salle des profs où je l'entendais ronchonner dans son coin. Quand je me fus inquiété de ce qui n'allait pas, elle me répondit, hors d'elle :
- C'est scandaleux : des places d'opéra à plus de cent-cinquante euros ! (C'était il y a déjà quelques années.)
- Cent-cinquante euros ! Qu'est-ce qui leur prend ?
- C'est une soirée au profit de la recherche sur le sida !
- Ah oui ? Ça explique que ce soit plus cher : c'est une soirée de bienfaisance.
- En tout cas, moi, je n'irai pas : ceux qui attrapent le sida n'ont que ce qu'ils méritent !
Je venais de perdre un de mes proches à cause de cette saloperie. Sa phrase me mit hors de moi. Lors de mes visites à l'hôpital, j'avais pu constater les ravages que produisait ce virus sur les malades. Dans chaque chambre ouverte, j'apercevais des corps semblables à ceux des déportés en camp de concentration. Beaucoup de gens seuls face à la mort car rejetés par leurs familles et leurs amis. De plus, cette femme avait elle-même souffert pendant des années d'une maladie très handicapante et je croyais naïvement que ses épreuves l'auraient fait réfléchir et lui auraient ouvert l'esprit.
- Et que penses-tu des gens contaminés par perfusion ?
- Je n'ai rien à faire avec ces gens-là.
Je l'ai laissée à ses délires et suis rentré chez moi. Dans la soirée, elle m'appela :
- J'ai bien vu que je t'avais choqué et je m'en excuse. J'étais très en colère.
Mais immédiatement après, elle me brancha sur l'usage du préservatif que la religion condamnait, etc, etc. J'aurais pu lui rétorquer que, dans son cas personnel, elle ne devait guère en avoir l'utilité (et je regrette encore aujourd'hui de ne pas l'avoir fait) mais je pris la décision de couper court à cette conversation qui, je le savais, ne mènerait nulle part. Ce que je lui dis d'une autre manière :
- Je n'ai pas de temps à perdre avec toi.
Et je raccrochai. De ce jour-là, ce fut terminé. Non seulement la gentillesse avec laquelle je la traitais disparut mais je la néantisai totalement et ne me déplaçai même pas pour son départ en retraite : elle n'existait tout simplement plus à mes yeux. Elle eut de son côté le "tact" de ne pas insister.
mercredi 11 novembre 2015
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13 commentaires:
je n'aurais pas eu ton indulgence - j'ai eu la chance de ne jamais croiser des gens capable de sortir de telles horreurs devant moi, je crois que je ne répondrais plus de rien...
Le sida à l'époque était la "maladie des homos" ce qui faisait bien rire Fichel Moucault sur son lit d'hôpital !
Je me souviens dans les hôpitaux de cet abandon moyenâgeux qui laissait épuisés les personnes atteintes par les maladies développées par le virus... Au début de l'épidémie, même les soignants étaient totalement désemparés. Je me souviens d'un copain, maigre, tout jaune, enfermé dans une pièce close mais vitrée, avec pour seule compagnie la seringue de perfusion automatique... Je 'avais jamais ressenti autant de solitude humaine, un véritable désert relationnel. Et avec comme seule et unique perspective : la Mort. Sans autre alternative.
Conne sans conteste mais pauvre fille aussi. Faut être bien peu heureux pour nourrir tant de méchanceté et de bêtise. Est-ce que c'est ça qui nous paralyse parfois sans que nous le voulions, alors qu'une bonne paire de claque ou une injure bien sonore devraient s'imposer ?
Karagar : je crois que l'explication de mon attitude relativement cool a été donné par Plume.
Chroum : pour moi aussi, ce sont de images que je n'ai jamais oubliées. Déréliction absolue.
Plume : tu as très bien analysé, et le personnage et ma réaction. Je crois qu'aujourd'hui, je me suis durci et que je réagirai beaucoup plus violemment. Mais je ne fréquente plus de gens qui tiennent un pareil discours. Je n'y suis plus contraint.
Quand j'étais beaucoup plus jeune (fin des années 1980, début des années 1990), j'avais entendu les débuts de tels arguments, mais uniquement les débuts, et non des choses violentes à ce point, de la part d'une personne en principe instruite. Face à cela, aujourd'hui, j'essaye d'abord de faire preuve de pédagogie (si ce n'est pas violent), dans le cas contraire, je suis beaucoup plus désagréable.
Ceci étant dit, au risque de choquer, au sujet des faits initiaux évoqués, les chances que je puisse aller à un spectacle de bienfaisance sont/étaient bien maigres. J'ai certains principes, dont je me rends compte qu'ils ont de sacrées limites, ce qui fait que je ne sais plus très bien quoi faire. Seul le cas par cas serait pertinent. Et en même temps, vendre obligatoirement une place de spectacle (ou tout autre chose) avec une partie destinée à une quelconque œuvre me choque, parce qu'on devrait toujours avoir le choix de ne pas participer, pour des tas de raisons.
Corus : mais on a toujours le droit de ne pas participer, ou de faire des dons anonymes.
Il existe de rares cas où pour profiter de quelque chose (spectacle ou autre), on est obligé de participer formellement ou moralement. Or, j'ai horreur qu'on me force la main, donc je préfère me priver.
Mais cela n'a rien à voir avec la "pauvre conne".
Tristes propos; j'espère que la conscience de cette femme aura évolué après ta réaction. De Philadelphia, je me souviens de la déchéance physique de Tom Hanks dans le film et de "la mamma morta" chantée par Callas.
Cornus : j'avais la même réaction que toi lorsqu'au collège, ils organisaient le "bol de riz" (manger uniquement un bol de riz en payant le repas complet pour une association de bienfaisance). J'ai toujours refusé ce passage obligé, même si l'on me regardait d'un sale œil.
Jean-Pierre : Callas, bien sûr, et la scène magnifique où on l'entend.
Ma mère m'avait sorti : "Ils meurent par où ils ont péché". Je l'avais traitée de conne (je n'étais pas très diplomate et fort mal embouché), mais j'étais un peu jeune pour partir alors (je devais avoir 15 ans, j'allais devoir patienter encore 4 ans). Plus de 2O ans après, je m'en souviens encore comme si c'était hier, alors qu'elle, j'en suis sûr, jurerait ses grands dieux n'avoir jamais dit cela...
Calyste, dans une ancienne école de Fromfrom, ils pratiquaient un truc du même genre. Je m'en étais insurgé auprès de Fromfrom, mais bien entendu, cela ne me regardait pas. Mais disons que si j'avais été enseignant dans cette école... Sans compter le côté gadget dans le cas de cette fameuse école.
Christophe : j'ai eu la chance d'avoir des parents qui ont toujours évité le sujet. En même temps, il a fallu que je dépatouille tout seul.
Cornus : gadget aussi chez nous, bien sûr.
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