Ce devait être en sixième, au plus tard en cinquième. Je redoutais les cours d'anglais, d'une part parce que, alors que je réussissais ailleurs, je m'y sentais nul, d'autre part parce que le professeur, un monsieur déjà d'un âge certain, nous terrorisait. Je me souviens qu'à cette époque, il fumait en cours et qu'il avait la main droite droite cachée par un épais gant noir. Mais je crois avoir déjà parlé de lui il y a longtemps.
Cet homme était rude et ne rendait en main propre que les meilleures copies aux meilleurs élèves. Les autres devaient les récupérer à terre où il les lançait d'un air dédaigneux. Cela paraît inconcevable aujourd'hui mais, dans ce lycée, j'ai connu pire en matière d'enseignants. Étrangement, j'en garde un excellent souvenir, à cause de la qualité de ce que j'y ai appris.
Un jour, alors que rien ne le laissait présager, il nous parla de lui. Pas de sa main gantée, qui restera à jamais un mystère pour moi, mais du métier de son père, métallurgiste dans la vallée du Gier. Ainsi lui aussi était fils d'ouvrier ! Ce fut pour moi comme un soulagement. Je n'étais plus seul dans ce cas. Et même venu de si "bas", on pouvait réussir ? Je décidai alors de m'appliquer davantage, même si les résultats ne s'en ressentirent guère. Pourtant, le contact était établi. J'avais un allier dans la place.
Un autre jour, faisant à nouveau une digression, il nous évoqua Van Gogh, que j'étais loin de connaître à cette époque. Il nous parla plus particulièrement de ce tableau représentant une vieille paire de chaussures. Je ne sais plus ce qu'il nous en dit, mais je crois que c'est ce jour-là, et grâce à lui, que je m'ouvris à la peinture. Et lorsque je me rendis, des années plus tard à Amsterdam, j'avais en tête de les voir devant moi.
Je les vis, effectivement, et je repensai au fond de moi à ce vieux professeur qui, sous des dehors revêches, cachait une humanité que je n'eus ensuite que rarement le bonheur de côtoyer. Il n'était pas parvenu à me faire apprécier l'anglais, mais il m'avait donné confiance en moi et ouvert un univers artistique que je n'ai jamais déserté depuis.
( Merci, Daniel, de m'avoir fait ressurgir ces souvenirs.)
8 commentaires:
Ah je me souviens que tu avais parlé de cet homme au gant. De mon temps, on ne rendait plus les copies en les jetant, mais certains profs les rendaient parfois de de manière très vexatoire, en particulier la prof de maths que j'avais eu lors de ma première classe de 4e et qui avait dit de moi à mon père que je ne ferais certainement pas d'études universitaires.
Je ne dis pas qu'il ne peut pas être utile, dans certains cas, de vexer certains élèves pour susciter une réaction positive, mais il faut être très fin dans l'analyse. Mais enfoncer des élèves "limités" ou qui ont des problèmes, des difficultés difficiles à surmonter, cela relève de la connerie pure, car les conséquences peuvent être désastreuses. Certains profs pratiquent encore ce type de "sport".
Quant à Van Gogh, je ne sais pas quelle est l'importance de la collection à Amsterdam, mais ce serait bien un des objectifs pour y aller, car nous n'en sommes pas si loin.
Pourquoi le s au Gier ? A cause du Guiers alpin ?
J'aime bien les portraits plein d'humanité et d'affection que tu fais de tes anciens profs, voisins, collègues, ... Ça me renvoie aussi quelquefois à des souvenirs personnels que je ne saurai pas aussi bien décrire. C'est aussi une bonne raison de revenir voir ton blog.
Ces grolles, de Vincent van Gogh, me rappellent le tableau "Les Mangeurs de Pommes de terre" et "La Peleuse de Pommes de terre".
Moi aussi j'avais des profs comme le tien à l'école publique, Monsieur Banguet, M. Ben-Billès, M. Machizot etc.
On les appelait Monsieur, ce n'était pas pour rien !
... des hommes abîmés par la guerre !
Un peu excentriques...
Dont je me rappelle encore les noms, les visages, les tics, les attitudes...
Cornus > Oui, oui, oui il vous FAUT aller à Amsterdam ! Pour le musée Van Gogh bien sûr et pour le Rijksmuseum ! Rembrandt, Vermeer, et tous les Flamands, de quoi s'éclater ! Allez, allez, on saute dans sa voiture et on y va !
Et de toute façon, Amsterdam est si belle...
Cornus : oui, j'ai un peu mélangé mes deux pays, celui de naissance et celui d'adoption. C'est corrigé. Merci.
Jean-Pierre : tels que je les ressens. Je ne suis pas toujours aussi tendre. D'ailleurs, ceux que je n'ai pas aimé, je n'en parle pas.
Chroum : des gens atypiques mais marquants, et souvent en bien. Personnellement, je ne serais pas ce que je suis sans eux.
Plume : j'y retournerai bien aussi. Cornus, tu m'attends !
Ah quel personnage ! Que ce fut un prof d'anglais, te connaissant (un peu) est encore plus étonnant !
Karagar : je pensais bien que tu allais réagir !
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