C'était un dimanche. Doublement jour de fête puisqu'il faisait beau et qu'une course cycliste devait traverser le village. Je venais d'entrer en sixième et croulais déjà sous le travail scolaire. Mes parents, occupés à autre chose, avaient étendu une couverture sur l'herbe du pré d'en haut et, pendant que je suais sur les devoirs, mon frère et mes deux sœurs, encore en primaire, eux, avaient pour consigne de s'y installer bien sagement et d'attendre que les coureurs passent.
En fin d'après-midi, lorsqu'ils revinrent, ma mère remarqua immédiatement le devant de la robe de ma sœur maculé de boue. A la question qu'elle lui posa, ce fut mon frère, plus prompt, qui lui répondit: "Elle est tombée dans la boue." De la boue, en juillet! Il aurait pu trouver mieux: il n'avait pas plu depuis une éternité. Ma sœur ne tint pas longtemps face à l'interrogatoire serré qui suivit: "Il nous a fait boire!", lança-t-elle entre deux sanglots.
Boire? Mais quoi? Et pourquoi cette couleur de terre? " Il nous a fait boire du vin." Et après, pour masquer la vinasse répandu sur la robe, il l'avait frottée avec de l'eau et de la terre, croyant ainsi leurrer mes parents. Inutile de raconter le remontage de bretelles qui s'abattit sur eux. Ma mère avait préparé une délicieuse mousse au chocolat et un gâteau de Savoie. Ils en furent privés.
Le soir, au moment de rentrer les bêtes, mon père descendit dans l'écurie, d'où nous le vîmes remonter presque immédiatement, plus blanc qu'un linge. Il se jeta sur mon frère et je crois bien qu'il l'aurait tué si ma mère, qui ne comprenait pas le pourquoi de ce retour de colère, ne s'était interposée.
Mon père venait de découvrir, dans un coin, la bouteille dont il se servait pour arroser de grésil le sol de l'écurie afin de le désinfecter. Au fond, il restait encore un peu de vin. D'où sa terreur et sa fureur. Heureusement, comme il l'expliqua bien vite, mon frère, afin de fêter dignement le passage de la course, après avoir tiré le vin au tonneau que nous y tenions au frais , avait senti la forte odeur du désinfectant et changé de récipient.
Le passage des coureurs au village est resté une des histoires mythiques de la famille, de celles que l'on raconte aux repas sans jamais s'en lasser alors que tout le monde la connait. Je ne sais pas ce dont je me souviens le mieux: de la pâleur de mon père, de ma mère tentant d'arrêter son bras, de mes cadets en larmes ou du goût de la mousse dont je fus le seul à me lécher les babines. Je crois bien que c'est le chocolat qui l'emporte...
jeudi 15 septembre 2011
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8 commentaires:
Pas mal cette histoire. Cela me fais souvenir de conneries que j'ai commises de mon côté (je raconterais ça bientôt).
Cornus: ah! ah! P'tit Cornus n'était pas sage?...
Ben si, j'étais sage. Je viens d'ailleurs de raconter deux de ces bêtises.
C'est quoi du grésil???
@ Karagar : un désinfectant à l'odeur infecte.
Cornus: lues,....mais pas approuvées!
Karagar: tu as ta réponse. Lancelot m'a devancé!
Lancelot: tu la trouves infecte? Moi, je l'aime assez, à petite dose, bien sûr!
Le grésil, on s'en servait pour la "cabane au fond du jardin".
Cornus: aussi, oui, mais là, les odeurs mélangées me plaisaient moins!
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