Tout au fond d'un pré de ma grand-mère, le pré du bas comme on disait, il y avait une boutasse, une mare en langage forézien, alimentée par un minuscule ruisselet sur les rives duquel poussaient des brassées de myosotis. Je n'ai jamais compris pourquoi ma mère, si portée sur l'angoisse, ne nous a jamais interdit de nous y aventurer. Peut-être parce que, juste à côté, se trouvait le vieux puits où nous allions puiser notre eau avant que mon père ne l'installe sur l'évier et qu'il fallait bien des bras pour transporter les seaux. Cette mare était un trou d'eau verdâtre entouré d'herbes hautes que mon père, soucieux de protéger la lame de sa faux contre les pierres qui en dépassaient, ne coupait jamais.
C'était le paradis des grenouilles et, par ricochet, le nôtre aussi, en tout cas à mon frère et à moi. Nous nous en approchions lentement et précautionneusement, par peur de glisser et pour surprendre les batraciens, en espérant en capturer quelques-uns, ce qui n'arriva jamais, tant le moindre bruissement les faisait plonger sous la couche de lentilles, ne laissant à la surface qu'un rond qui ne tardait pas à se refermer. Et si l'un d'entre eux s'attardait un peu trop sur le bord, c'est nous qu'il surprenait par la vivacité de sa détente.
Alors, on se contentait de prendre des têtards, dans une vielle boîte de conserve que nous plongions un instant dans l'eau. Lorsque nous la remontions, nous étions sûrs d'en voir quelques-uns prisonniers dans le cercle de fer-blanc, les petits, les plus nombreux à peine visibles dans leur forme larvaire. Parfois, nous avions la chance d'en attraper d'un peu plus gros, sans pattes encore mais avec le ventre déjà rebondi et leur silhouette de goutte d'huile. Mais de grenouilles adultes, point.
Nous nous sommes longtemps demandés ce qu'il pouvait bien y avoir au fond de cette mare. Mais, même aux moments les plus chauds de l'été, aux périodes où l'eau baissait tant que l'on pouvait espérer, jamais nous ne le vîmes. Alors, nous échafaudions des rêves, nous imaginions des souterrains communiquant avec ceux d'un ancien château qui se trouvait là il y a des siècles, des trésors engloutis, des monstres visqueux et affamés tapis dans des grottes humides.
La mairie a depuis longtemps racheté ce pré et l'a comblé pour en faire un terrain de football. La maison de mon enfance, elle, a été rasée et ces gravas ont sans doute contribué à combler la cuvette. Je n'ose imaginer ce que sont devenus les têtards de la dernière génération.
lundi 12 septembre 2011
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4 commentaires:
Comme c'est bien cette histoire de boutasse. Comme cela se termine mal, comme dans le film "les enfants du marais". Forcément, cela me parle, car la chasse au têtards puis aux grenouilles, je m'y suis essayé. Nous avions même mangé de formidables cuisses (deux fois seulement).
Quant aux comblements de zones humides, cela n'est plus librement permis par la réglementtation actuelle. Touefois, beaucoup de choses se font encore sans autorisations et il y a encore de régulières impunités dans le domaine. Le comblement de zones humides dans notre pays est un véritable fléau depuis plus de 50 ans.
ce que sont devenus les tétards... des fêtards ...?
Cornus: pratiquement aucune des maisons où j'ai passé mon enfance n'est encore debout. Et celle de Pierre, à Bons, a été vendue par sa famille après sa mort. Tout cela me manque aussi, parfois.
Lancelot: il n'y a jamais personne sur ce terrain de foot. Ça valait bien la peine!
J'imagine bien ce que tu dois ressentir Calyste, moi qui suis tellement attaché à ces choses là, même si les lieux de mon enfance n'ont pas tous la même valeur à mes yeux.
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