Je n'ai jamais su comment, en entrant en sixième, je me suis retrouvé inscrit dans une classe de latin dans ce lycée de deux mille élèves où les fils d'ouvriers se comptaient sur les doigts d'une seule main. La suite fut logique: après le latin, on m'apprit le grec. Et c'est tout naturellement, si l'on peut dire, que je suis devenu enseignant de Lettres Classiques. Celui qui a mis mon nom sur cette liste a décidé de ma vie, sans le savoir et sans que moi, je sache de qui il s'agit.
Comme langue vivante, je n'ai eu que l'anglais, que j'ai détesté immédiatement comme la langue qu'allaient chaque année "improver" les centaines de fils de grands bourgeois qui pullulaient dans les salles et qui, sans le savoir eux non plus, m'ont appris la résistance et forgé le caractère. De ces cours, je ne garde qu'un bon souvenir: celui d'un professeur, lui même fils de métallo, qui me fit connaître Van Gogh et son tableau des Souliers.
Ma défiance envers le langage d'outre-Manche ne m'a jamais quitté même si, plus tard, j'ai appris à apprivoiser sans les aimer ces sons que je continue à juger disgracieux. J'ai cru, à cause de cela, être totalement nul en langues vivantes, jusqu'au jour où, adulte, j'ai appris avec amour et facilité celle qui se parle de l'autre côté des Alpes, chez nos cousins italiens.
Mais j'ai toujours vécu comme un manque le fait de ne pas avoir appris l'allemand. J'ai été fasciné par cette langue exactement depuis le jour où, en furetant dans les tiroirs d'un placard de mes parents, j'y ai trouvé un vieux livre un peu abîmé qui avait appartenu à mon père. Comment était-il entré en possession de cet ouvrage, surtout à une époque où il n'était sûrement pas de bon ton de fleurter avec ceux qui venaient de franchir le Rhin, entre autres?
J'ai toujours ce livre dans ma bibliothèque. Il est à côté de moi en ce moment: Deutsches Lehrbuch, de Louis Marchand (La Méthode intuitive illustrée, Librairie Larousse, 1909). A la page 66, il y a encore un brin d'herbe séchée et une image en carton: Les animaux utiles, Porc, avec, au dos, une réclame pour la Jouvence de l'Abbé Soury que, "à tous les âges, la femme emploie en liquide ou en pilules".
Les protagonistes en sont des enfants: Michel Weber, Hans Müller, Fritz et Karl Schneider (deus jumeaux visiblement), Gretchen Bäcker et Käthchen Schlosser. La première leçon porte sur "Das Schulzimmer" et l'on y apprend ce que veut dire der Tisch, die Tür, das Fenster, der Ofen et die Bank, avec dessins à l'appui.
Alors voilà au moins une des occupations que je me donnerai, la retraite venue: apprendre l'allemand. Parce que j'en aime les sonorités, parce que j'aime la culture de ce pays, parce que je finirai ce que mon père n'a sans doute pas eu l'occasion d'achever, parce que c'est la langue de Bach et que je voudrais connaître Berlin et plus encore Leipzig où Pierre a toujours voulu m'emmener sur les pas du Cantor. Un peu comme une mission que ni l'un ni l'autre n'ont pu accomplir avant que la maladie ne les emporte.
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10 commentaires:
C'est étrange, je pourrais reprendre presque mot à mot tes 2 premières phrases; et je continuerais par " Et c'est tout naturellement...que je ne devins pas enseignante de Lettres Classiques.L'histoire était trop décidée par d'autres, elle ne pouvait pas être la mienne. Dieu sait pourtant que j'aimais les latin, et surtout le grec !
"Comme langue vivante je n'ai eu que"...l'allemand. Père germanophone et -phile. Mais là encore, ça n'était pas mon choix, alors j'ai fait grève, alors même que je me sens si proche de la littérature et surtout, oui de la musique allemande.
Et finalement j'ai appris, puis choisi comme langue de vie, et enseigné, et écrit la seule langue qu'autour de moi tout le monde méprisait.
Maintenant j'aimerais apprendre ...l'anglais ! Je crains que ça reste un voeu pieux.
Ma fille a choisi l'allemand, elle a suivi un programme Erasmus à Marburg en pharma et elle connaît Berlin comme sa poche!Elle a tout de suite adoré ce pays (à 1O ans elle partait déjà ,passer le Nouvel An dans une famille), l'accueil des Allemands, la culture et la langue, bien sûr. Elle espère bien pouvoir travailler en Allemagne, pays de son coeur.
Cette génération-là a pu choisir les langues qu'elle voulait étudier; dans notre famille, le choix qu'elle a fait n'allait pas de soi. Sa grand-mère fut triangle rouge et a été déportée, après un passage à Ravensbrück, dans un camp de travail de l'ex Tchécoslovaquie.
Aujourd'hui, l'allemand est toujours aussi "méprisé" dans nos établissements scolaires, non pas pour des raisons historiques mais parce qu'il est moins "utile" que l'anglais... Cela me désespère, cette notion d'"utilité"!
Cette année j'ai la chance d'enseigner à des "petits" (des sixièmes) qui ont chaque semaine à leur emploi du temps 4 heures d'allemand et 4 heures d'anglais. Un vrai régal!
Nous n'avons pas les mêmes parcours, mais des origines pas si éloignées que ça. Pas les mêmes époques non plus. En tout état de cause, jusqu'au lycée et même après, il était parfaitement inconcevable que je sois enseignant, surtout en français ou en langues. Je n'ai fait qu'un an de latin où j'ai souffert. En définitive, en dehors de la maternelle, aucune langue n'a grâce à mes yeux. Mais il est vrai que je n'ai pas une vraie idée de l'italien ou de l'espagnol. En revanche, je ne déteste pas entendre l'anglais d'Angleterre ou l'allemand.
Berlin te plaira, j'en suis convaincu : prévois de super souliers pour là-bas en revanche, pour l'errance. Pour ma part, je regrette de n'avoir pas assuré pendant les douze ans d'allemand que j'ai subis depuis l'école primaire puisque je souhaite désormais quitter la France et m'installer là-bas et quoiqu'on en dise, les Allemands parlent pas si bien anglais que ça, c'est une légende urbaine ^^
A Berlin, il faudra se perdre dans les musées parce que la ville m'a déçu plus qu'autre chose. Ou sinon, allez-y dans dix ans, quand tous les énormes travaux encore en cours seront achevés.
En Allemagne, c'est Dresde qu'il ne faut pas sous-estimer ; ce qu'il en reste est splendide et le musée de peintures est somptueux.
J'ai fait espagnol en seconde langue pour suivre mes amis au collège dans la même classe. Mais c'est l'allemand qui m'aurait été constamment utile. Bêtise d'enfant mais c'est réellement l'italien que je veux apprendre dès que j'en aurais le temps !
Sur l'anglais, en désaccord total, bien évidemment. Mais, comme disent les deux masochistes échangeant leurs points de vue, 'les coups et les douleurs, ça se discute pas..."
Le Plume: Pourquoi un vœu pieux? Il ne tient qu'à toi.
Christine: Le prétexte de l'utilité est ce que l'on met sans cesse en avant lorsqu'il s'agit aussi du latin et du grec, pas forcément les instances dirigeantes mais les parents à coup sûr. Ma collègue et moi nous battons chaque année contre cela. mais après nous?
Cornus: n'es-tu pas là sujet au même complexe du nul que j'ai connu moi aussi?
Nicolas et Kynseker: ma visite n'est pas pour tout de suite, mais je tacherai, le moment venu, de me souvenir de vos conseils.
Kynseker: l'étude de l'italien en cours du soir m'a donné de grands plaisirs mais le plus grand, c'est lorsque, en voyage en Italie, je peux comprendre ce qui se dit et converser avec les Romains par exemple.
Lancelot: je pensais bien que tu ne serais pas d'accord. Peut-être aurais-je aimé l'anglais si j'avais eu au moment de mes études des profs qui l'enseignaient comme une langue vivante. Mais ce n'était pas le cas à l'époque.
Le complexe du nul ? Sans doute. Mais je pense que c'est un peu différenbt en ce qui me concerne. J'ai connu l'échec scolaire dans certaines matières à deux reprises (les langues étaient dans le lot des nombreuses matières où je sombrais). Ce qui m'a sans doute sauvé, c'est qu'il y a toujours eu des disciplines où j'étais parmi les meilleurs. Je crois que dans le cadre scolaire, il faut absolument valoriser les réussites et pas uniquement dire où cela ne va pas ou que rien ne va quand il y a des choses qui vont.
Cher Kalyste,je te propose la lecture de mon petit livre de famille allemand,il a été conservé précieusement puisque je l'ai et pourtant je n'ai jamais eu de pro-nazis dans ma famille,mais les contrôles,la mise en place de la germanisation des écoles ,des administrations était en marche.On n'avait pas choisi les gens qui te demandaient tes papiers pour leur connaissance de la littérature française et si un beau jeune homme,ou un moche,te demandait la moindre chose valait mieux comprendre vite.Le mien est un lexique de 1940 déjà plusieurs fois édité.Ma mère,dans son cahier d'enfant écrit en français le lundi et le mardi,le mercredi tout est en allemand.L'Alsace n'était qu'un préambule.Voilà certainement la raison de ton livre,très courant à cette époque,d'ailleurs ton père,s'il avait été friand de ce bord,dès la peur de l'épuration passée ,aurait veillé à te transmettre ses idées par une bonne éducation.Ta 6ème Latin?Parce que tu étais trop bon sinon on t'aurait envoyé à l'usine ou à la mine.Même parcours...
Cornus: bien d'accord avec ton analyse!
Ipsa: merci pour ce commentaire plus intime.
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