Parfois mon libraire scolaire me fait des cadeaux. Vendredi, j'ai ainsi récupéré une nouvelle de Stefan Sweig offerte par Grasset pour l'achat de deux "Cahiers rouges": Le Bouquiniste Mendel. Je l'ai lue aujourd'hui pour oublier le temps qu'il faisait dehors.
Sweig semble être très à la mode en ce moment. De lui, j'ai lu bien sûr La Confusion des sentiments et une biographie, Marie Stuart, livres que j'ai appréciés sans qu'ils me touchent vraiment.
Or la nouvelle lue aujourd'hui m'a bouleversé, sans doute parce que j'y ai trouvé beaucoup de résonances intimes. A Vienne, pour se protéger d'une violente averse, un homme entre dans un café et finit par se rendre compte qu'il fréquentait ce même café des années plus tôt quand il était étudiant. Là, il s'était pris de vénération pour un vieil homme, bouquiniste à la mémoire phénoménale plongé sans cesse dans les livres ou les catalogues. La nouvelle raconte, par l'intermédiaire de la seule survivante de l'époque à l'avoir connu, comment cet homme a disparu dans la tourmente de la guerre.
Livre court (une cinquantaine de pages), écrit à l'ancienne (c'est-à-dire, pour moi, dinosaure, bien), la nouvelle s'attache moins aux mouvements de cette époque tragique qu'à la personnalité de cet homme, fou magnifique, à qui l'amour des livres masque totalement le monde qui l'entoure. Et c'est sans doute ça qui m'a touché au plus profond.
Mendel n'était plus Mendel, comme le monde n'était plus le monde. Quand il lisait, il ne se berçait plus dans une contemplation béate. Il restait assis immobiles, ses lunettes braquées machinalement sur le livre. On ne savait au juste s'il lisait ou rêvait. Souvent, sa tête s'inclinait lourdement sur le livre, il s'endormait en plein jour. Parfois,il fixait pendant des heures le bec fumant de la lampe à acétylène qu'on avait mise sur sa table à cette époque où l'on manquait de tout. Non, Mendel n'était plus Mendel. Il n'était plus un être miraculeux, mais une misérable loque humaine affalée sur son siège. Il ne faisait plus la gloire du café Gluck. Il n'était plus qu'un importun, un parasite crasseux et dégoûtant. C'était du moins l'opinion du nouveau propriétaire, M. Gurtner, qui ne pouvait surtout pas admettre qu'on occupât une table du matin au soir en ne consommant que deux bols de lait et quatre petits pains.
(Le Bouquiniste Mendel, Grasset, trad. de Manfred Schenker.)
Tout au long de ma lecture, j'ai eu en tête ce vieil homme qui habitait la rue voisine de la mienne, que je croisais parfois plié à l'équerre sur son panier et dont il ne reste plus aujourd'hui que deux fenêtres dans un immeuble étrangement ouvertes sur l'obscurité.
dimanche 24 octobre 2010
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9 commentaires:
As-tu lu "La peur" et "la pitié dangereuse" ? Ces deux-là m'ont fait frémir. Lus d'un trait. Sinon, à part aussi La Confusion, j'avoue que j'ai un peu de mal avec son style. Souvent du mal avec les romanciers de langue allemande. Je ne sais pas si c'est dû aux écrivains eux-même ou aux traducteurs.
Non, je ne les ai pas lus. Ils sont aussi publiés dans les Cahiers rouges.
Pour les allemands, j'ai beaucoup aimé "Le Tambour" et détesté "Le Turbot", par exemple. Je n'ai jamais réussi à lier Mort à Venise, mais j'ai souvent aimé les romans de Herman Hess
Hermann Hesse. Voilà ce que c'est quand on a sommeil!
Curieusement j'aime beaucoup le style de Zweig que je ne connais que par le biais des traducs bien sûr. Enfin, est-ce le style ou bien ce qu'il dit?? En tout cas cette précision dans la description de l'âme humaine est un modèle pour moi. La Confusion, forcément, j'aime, mais je ne suis pas très objectif, puisque ce fut un des mes rôles préférés interprètés par Vladimir, et ça a tellement de rapport avec ce que fut ma vie... Je ne connais pas la nouvelle dont tu parles, mais ça me donne envie.
Karagar: elle est extraite du recueil "La Peur".
J'ai lu 'La Confusion', que j'ai trouvé bien écrit, mais qui m'a, un peu comme toi, laissé froid de A à Z. J'aime qu'un livre me remue les tripes.
De Hesse, j'ai lu 'Narcisse et Goldmund' que je n'ai pas aimé.
Et Thomas Mann ? Personne ne le cite. Je n'ai jamais pruis le temps de me plonger dans 'les Buddenbrook" mais j'ai la copnvistion, je ne sais pas pourquoi, que ça me plairait.
"coNVICtion", bien sûr. Faut que j'arrête d'arroser mon café matinal de calva...
"Quant à Thomas Mann, personne ne le cite"! Et "Mort à Venise", serait-ce d'Agatha Christie, par hasard? Oui, il était temps d'arrêter le calva! Allez, je t'embrasse, petit frère!
Eh bien du coup, j'ai acheté le recueil "La peur", et j'ai lu ton Mendel. Très belle nouvelle en effet. Il s'attache plus dis-tu à ce qui se passe dans la tête qu'aux évènements,oui mais chez Zweig c'est toujours un peu comme ça. Lire que la "Confusion" à laissé froid, ça me sidère. Jamis lu t. Mann, mais j'en suis curieux depuis que des étudiants allemands qui ont étudié un de mes nouvelles ont dit que ça y ressemblait !
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