Parler d'un film après les autres, quand tout le monde ou presque l'a encensé, est assez difficile. Cet après-midi, j'ai vu Des Hommes et des Dieux, de Xavier Beauvois. Petite salle (le film est tout de même sorti depuis presque deux mois), public peu nombreux et assez âgé. Seule la vibration d'un quelconque appareil d'aération est venu parfois perturber le calme ambiant.
Bien sûr, on ne peut pas, je pense, ne pas aimer ce film pétri de bonnes intentions et de bons sentiments, mais jamais simpliste et dont la manichéisme est pratiquement absent. On ne peut pas non plus lui reprocher, comme certains l'ont fait, de présenter à dessein une image idyllique de ces huit moines pour en faire, comme pourrait le suggérer le titre mal interprété, des dieux, ou des saints, après avoir été des hommes.
Mais même avec sa durée de deux heures, ce film est un film, c'est à dire une expression artistique pour moi trop rapide si je la compare aux heures passées à la lecture d'un roman, à s'imprégner vraiment d'une atmosphère, de personnages qui finissent par "prendre chair" en nous. Je n'ai jamais cette sensation au cinéma. Ici plus qu'ailleurs sans doute: raconter les trois dernières années de vie de ces moines du Monastère du Haut-Atlas , leurs doutes, leurs peurs, leur foi, leur engagement et leur acceptation de la mort en si peu de temps relève de l'exploit (J'en profite pour préciser que l'acceptation de leur destin par ces hommes n'est en rien, jamais, une recherche du martyre mais bien plutôt le choix de rester en conformité avec ce qu'ils ont toujours été, ce qui les a toujours tenus).
Ce n'est donc pas cet aspect qui m'a le plus ému ou intéressé, pas plus que les chants religieux dans leur chapelle ou les images de neige dans la campagne algérienne. Ce qui m'a fasciné, ce sont les visages de ces hommes. Comme pour Thérèse, d'Alain Cavalier (du moins, c'est le souvenir que j'en ai), les gros plans sur ces visages contiennent toute la force du film: qu'on les regarde comme ceux des vrais moines de Tibhirine ou, avec un peu de recul, comme ceux des acteurs en train de jouer, ils sont splendides.
Une des scènes ultimes les montre accueillant le dernier venu, le soir, autour de la table où tous, exceptionnellement, tiennent un verre de vin à la main. Beauvois a choisi, pour accompagner ce passage, la musique du Lac des Cygnes de Tchaïkovski. D'abord choqué par ce choix, j'en ai été ensuite profondément ému lorsque les expressions des moines passent de la gravité au rire puis à la douleur, aux larmes et à une certaine sérénité. Ce sera leur dernière soirée au monastère.
En cela, ce film est un grand film: dire sans une phrase, sans un mot, rien qu'avec des rides et des yeux, autant d'amour et de souffrance, autant de peur et de sérénité, c'est rare.
Je ne voudrais pas finir sans dire combien j'ai aimé Michael Lonsdale, ici Frère Luc au service des populations locales, un des seuls à ne jamais avoir douté de sa décision de rester. Bêtement, sans cesse en le voyant, j'ai pensé à mon père.
lundi 25 octobre 2010
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9 commentaires:
Bien contente que tu aies aimé ce film.
Ce que tu dis des visages, m'avait frappé aussi. Le regard qu'ils portaient les uns aux autres, les interrogations dans les yeux et dans les sourires, mais aussi la façon dont ils se tenaient, les gestes. tout était parlant.
Et tous les acteurs sont d'une grande sensibilité de jeu.
Nous n'y sommes pas allés, pas encore peut être ou pas du tout je ne sais. Plusieurs fois nous sommes arrivés devant le cinéma et là pouf aucune mais aucune envie de voir le film et je serai en mal de dire pourquoi. Peut être le rejet absolu de ce que représente maintenant la religion dans le monde.
Même sentiment que Valérie. Malgré ton article plutôt positif, je n'ai aucune envie de voir ce film. Si ces hommes ne voulaient pas jouer les martyres, pourquoi ne sont-ils pas partis? Ils continueraient à remplir aujourd'hui leur mission dans une Algérie un peu plus apaisée...
Tous ces moines ne l'ont pas toujours été (moines): d'ailleurs certains d'entre eux se posent la question de savoir s'ils resteront, tout à fait conscients de la situation périlleuse dans laquelle ils se trouvent.A-t-on besoin de ces hommes-là dans des régions apaisées?
J'ai tout comme vous beaucoup aimé l'image des visages mais contrairement à vous, j'ai aussi beaucoup aimé le traitement du temps dans ce film qui lui donne , en plus de ces visages profondément... humains et expressifs, une épaisseur: le temps n'en finit pas; c'est un temps rituel , un temps où les personnages prennent le temps de continuer leur vie monacale certes mais aussi leur vie sociale et de choisir la liberté. Un temps où la réflexion chemine en chacun d'eux en ellipse. Lonsdale est impressionnant. C'est un plébéien! Quel acteur!
Tous ces moines avaient la possibilité de partir certes mais ils ont choisi de rester libres, de ne pas se soumettre à la peur. Du reste l'une des phrases les plus formidables de ce scénario est lorsque le chef du GIA exige que les moines soignent les combattants se réfugient dans le monastère: "Vous n'avez pas le choix", dit-il. "Si, répond le frère Christian, j'ai le choix".
Rester, c'était défier l'islamisme, le terrorisme et l'excessive prudence de la police et du gouvernement. C'était aussi aider les populations locales, tout aussi terrorisées. Le tournage de ce film a eu lieu au Maroc, l'Algérie refusant toujours de regarder en face cet attentat.
Enfin, j'ai appris lors d'une avant-première avec deux acteurs du film, que Beauvois avait changé au dernier moment la scène finale: il avait prévu une fin conforme à la réalité (la découverte de la décapitation). Quand l'équipe est arrivée sur les lieux, il s'est mis à neiger contre toute attente: Beauvois a décidé d'"exploiter" ce temps-là aussi (météorologique): ainsi jusqu'au bout nous avons eu ces visages qui disaient le contraire de la résignation mais le destin assumé.
Je pensais bien que ce billet allait provoquer des commentaires variés et opposés.
Je dois dire que Merbel a répondu mieux que je n'aurais su le faire et que je souscris totalement à ce qu'elle développe, y compris à ce temps rituel dont je n'ai pas parlé mais dont la présence est indubitable et rassurante.
En fait, dire que ce film parle de religion ne me semble pas exact. Il parle de foi, ce qui n'est pas la même chose, et c'est la même foi, comprise différemment, qui conduit les uns à rester et les autres à tuer. D'ailleurs la dernière lettre écrite et lue par Christian (Lambert Wilson) ne dit pas autre chose que cette identité de la foi profonde, même si les actes la dévoient.
Mais je voudrais surtout aussi préciser que je ne fais aucun prosélytisme et que je ne cherche à convaincre personne de se déplacer pour ce film même si, à mon avis, il peut être intéressant pour tout le monde, croyant ou pas.
Oui, je suis d'accord avec Calyste : il s'agit plus de foi que de religion. Et je n'ai pas l'impression qu'ils se soient sacrifiés pour "leur" dieu, même s'il est sans doute probable que leur décision de rester fut prise en songeant au Christ et à cette idée que, parfois, les choses - même terribles - doivent advenir.
Je crois aussi qu'il s'agit là d'une réflexion profonde sur l'attitude face à la mort et sur l'engagement personnel, ceux que tout homme a à avoir et à essayer de tenir sa vie durant. L'histoire véridique des moines me semble un simple prétexte à cette réflexion et, d'ailleurs, la facilite.
Bien que les éloges sur ce film soit presque unanimes, je n'ai pas trop envie d'aller le voir au cinéma (si tant est que ce soit encore temps) car je crains que cela n'entame mon moral. Je pense que de ce côté là, la télévision permet un plus grand détachement.
Bon, je reconnais volontiers que je suis plein de contradictions.
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