GUEULE: voilà un mot que j'aime par sa polysémie, sa façon naturelle et légère de passer d'un sens à l'autre, d'un registre cru au sens le plus technique.
D'abord la source: le latin, bien sûr. "Gula", tout à la fois l'œsophage, le gosier, la bouche, le palais et la gorge, parfois même la gourmandise. Les latins qui, contrairement à l'image fausse que l'on se fait d'eux à cause des débordements de certains empereurs et de leur entourage, n'étaient ni de gros mangeurs ni des palais très raffinés, semblent pauvres en vocabulaire de la bouche et de ses plaisirs. Peut-être, sûrement, se réservaient-ils pour d'autres jouissances nécessitant aussi une position horizontale.
Aujourd'hui, le dictionnaire donne en général comme sens premier la bouche de certains animaux susceptible de s'ouvrir grandement. Ainsi se jette-t-on dans la gueule du loup quand, sans le savoir on va au devant d'un piège que l'on désirait éviter. De ce sens animal, on passe tout naturellement au suivant, le moins connu sans doute aujourd'hui de nos élèves, celui de l'ouverture béante d'un four ou d'un canon.
Mais c'est dans un troisième sens que le mot a fait fortune: la gueule désigne populairement la bouche de l'homme. Et la série alors peut s'égrener:
- "ferme ta gueule" ou "Ta gueule": tais-toi (ton exaspéré)
- "être fort en gueule": beaucoup dire mais peu faire
- "avoir une grande gueule": même sens que le précédent
- "avoir une sale gueule": ne pas avoir un visage avenant
- "foutre sur la gueule": taper quelqu'un à grands coups
- "casser la gueule à quelqu'un": lui régler son compte à coups de poings
- "se casser la gueule": tomber
- "faire la gueule": tordre le nez (autre expression de sens figuré), montrer un visage fermé
- "se foutre de la gueule de quelqu'un": se moquer ouvertement de lui
Après tous ces emplois aux relents de violence et de méchanceté, quelques autres plus culinaires à défaut d'être plus légers:
- "être une fine gueule": aimer manger de bonnes choses
- "s'en mettre plein la gueule": manger plus que de raison
- "se bourrer la gueule: même chose, avec le liquide
- "puer de la gueule": avoir mauvaise haleine, donc peut-être conséquence des deux précédents.
Enfin, des emplois concernant plus directement l'esthétique:
- "avoir de la gueule": avoir très belle allure ( à ne pas confondre avec "n'avoir que de la gueule": parler sans agir)
- "les gueules cassées" : soldats atrocement blessés au visage lors d'un combat
- "les gueules noires": les mineurs de fond des houillères de charbon (ceux que j'ai côtoyés pendant toute mon enfance et dont le visage, même lavé abondamment, conservait sous les yeux et dans les rides, le noir de la poussière de charbon.)
Pour essayer d'être complet, deux autres emplois isolés:
- "les gueules": hachures verticales rouges dans les armoiries
- "une gueule de loup": autre nom du muflier
Enfin, un emploi maison, jamais entendu à l'extérieur. Lorsque nous avions des discussions avec Pierre, il nous arrivait assez souvent de ne pas être d'accord sur tel ou tel point. Nous défendions alors bec et ongles notre point de vue respectif et il est vrai que, parfois, je poussais la mauvaise foi un peu loin pour emporter le dernier mot, jamais à court d'arguments. Pierre cédait alors mais ne manquait jamais dans ces occasions-là de me traiter de "gueule à ressorts". Parfois aujourd'hui, le vif échange aussi bien que l'appellation me manquent.
vendredi 25 septembre 2009
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9 commentaires:
Très bien vu la gueule à ressorts. Dans le même registre, il pourrait y avoir la gueule à tiroirs.
Et puis, y a ceux qui veulent régulièrement pousser leur coup de gueule, et qui nous font nous fendre la gueule. :-)
Ces mêmes avec leur gueule enfarinée...
Et ces autres qui tirent la gueule...
Ping-pong, ping-pong, vous êtes drôles tous les deux. On se croirait à Rolland Garros. Merci et bises.
Moi, j'préfère un p'tite gueule d'amour...
Julie la Rousse! Encore quelque chose que j'ai beaucoup entendu chanter par mon père, quand j'étais gosse. Ah! Piergil, combien de fois t'ai-je déjà dit merci?
Y-a pas d'quoi! me fais aussi des p'tits plaisirs avec de vieilles madeleines....
Nan, nan! y'a rien de sexuel!!!
Une paternelle : "il a la gueule en zinc" : il peut avaler des trucs très épicés, ou brûlants.
"Tout pour sa gueule" : il ne pense qu'à lui, ne partage jamais.
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