jeudi 17 septembre 2009

Aux pâtes lyonnaises

Il y a de cela bientôt deux ans, alors que je me promenais avec mon vieil appareil photos numérique, celui hérité de mon père, j'avais arpenté les rues du 7°arrondissement dans cette partie comprise entre la place Saint-Louis et le quartier près des quais du Rhône qui semble au-dessous du niveau du fleuve tant le dominent les digues construites après de sérieuses inondations au siècle dernier.

J'avais été surpris et consterné par l'état de délabrement de certains immeubles de cette zone ainsi que par le nombre considérable de commerces fermés dans ces rues pourtant populaires. Plusieurs de ces magasins gardaient encore une devanture datant d'une époque balzacienne, en bois peint ou fer travaillé. L'un d'entre eux m'avait particulièrement attiré. L'enseigne disait: "Aux pâtes lyonnaises", comme l'on dirait "Aux noix de Grenoble" ou "Aux mouchoirs de Cholet", comme si Lyon était et avait toujours été connue non pour ses charcuteries et ses quenelles mais pour ses pâtes alimentaires.

Le reste de la devanture était entièrement recouvert d'affiches annonçant spectacles ou manifestations diverses. Pas le moindre endroit laissé libre, pas le plus petit centimètre pour tenter de regarder à l'intérieur. Seules les vieilles impostes, au-dessus, étaient inoccupées mais trop hautes pour encourager la moindre tentative d'intrusion visuelle.

Le plus étonnant, c'était le contraste entre la vétusté du lieu et la fringance des affiches nouvellement collées. Aucune d'entre elles n'était périmée et, chose tout aussi surprenante, toutes étaient collées dans un ordre parfait, une disposition côte à côte, sans jamais empiéter, sans jamais recouvrir tout ou partie de la voisine. Comme si les colleurs respectaient ce lieu insolite. C'est le seul affichage respectueux dans le quartier.

J'avais l'intention de revenir devant ce magasin régulièrement, de le photographier à chaque nouvel affichage, car ces couleurs changeantes, étrangement, lui allait parfaitement: on aurait dit que la vieille boutique où plus personne n'entrait jamais se plaisait à se prêter au jeu des autres, de ceux qui vivaient, qui bougeaient et qui venaient l'annoncer sur ses volets fermés. Chacun respectait et magnifiait l'autre.

Un jour, j'ai cherché ce lieu étrange d'alchimie. J'ai sillonné le quartier longuement, espérant voir au lieu le kaléidoscope de ses couleurs. Mais rien! J'arpentai même les endroits où je savais ne pas pouvoir le trouver. C'était comme si la boutique avait disparu. Une deuxième tentative, quelques mois plus tard, se solda par le même échec. J'étais même allé, cette fois-là, jusqu'à questionner dans la rue une passante qui m'avait l'air du quartier. Elle me regarda d'abord avec défiance, puis comme un fou inoffensif, enfin se prêta au jeu de très bonne grâce. Mais elle ne parvint pas à me faire retrouver le bon chemin.

Samedi après-midi, alors que je m'apprêtais à traverser le pont de la Guillotière pour me diriger sur Bellecour, je décidai à la dernière minute de bifurquer vers ces rues basses qui escaladent tant bien que mal la pente de la digue ou viennent mourir au pied d'un escalier. Et, au détour de l'une de ces voies, je l'ai vue, je l'ai retrouvée, ma boutique magique. Chaque fois, je l'avais manquée de peu: il aurait suffi que je me décide à traverser la rue de Marseille et à faire quelques pas vers le Rhône. Rue d'Aguessau, je ne suis plus prêt de l'oublier.

J'étais si content de la revoir que je me demande si je n'en ai pas parlé tout seul, à voix haute. Elle est bien toujours là, elle n'a pas été démolie, ni rachetée, ni rénovée et, comme autrefois, elle est couverte d'affiches actuelles, sagement disposées de manière à ne pas se nuire. Je sais maintenant le chemin pou y aller. Me reste seulement à me renseigner sur ce que c'était vraiment que ces "pâtes lyonnaises".

Merci à Nukleo, sur Flickr, d'avoir fait de cette photo un de ses favoris.

2 commentaires:

Lancelot a dit…

Et pour y pénétrer, ou tout au moins regarder à l'intérieur, il faut montrer patte blanche....

(pardon, je suis resté sur l'élan de la note sur les expressions en 'cul')

Calyste a dit…

Je n'ose comprendre, grand effronté!