- Mais alors….
- C’est désormais le nôtre, à Tom et moi, me
répondit Dorée. Je vous ai expliqué qu’il nous était impossible d’en avoir un
par nous-mêmes. Alors, nous l’avons « adopté ».
A sa façon de prononcer « adopté »,
je sentis immédiatement que l’explication n’était pas terminée. Je préférai
m’asseoir, attendant de nouvelles surprises. J’avais beau tourner les faits
dans tous les sens, je ne comprenais pas. S’ils l’avaient réellement
« adopté », ils auraient dû se rendre dans son pays d’origine, en
Afrique probablement. Or ils venaient de passer une semaine en Toscane et
l’absence de Tom n’avait pas été assez longue pour lui permettre un
aller-retour, surtout avec toutes les formalités que j’imaginais indispensables
dans ces cas-là.
Ce fut Valeria qui reprit la parole. Tom et
Dorée n’en avaient que pour le bébé qu’ils ne quittaient désormais plus des
yeux.
- Vous savez que l’Italie n’a jamais été une
terre de grand accueil. Nous avons autrefois au contraire fourni une
main-d’œuvre importante à certain pays d’Europe, la France notamment.
Bien sûr que je le savais ! Originaire
d’un bassin minier important, j’avais côtoyé, enfant, nombre de ses
compatriotes que l’on avait fait venir des vallées reculées du nord pour leur
proposer un travail dans les mines. Le village où je vivais comportait de
nombreuses nationalités, italiens mais aussi russes, tchèques, polonais et
quelques maghrébins. Tous ces gens vivaient en bonne harmonie car la difficulté
du labeur créait un sentiment de communauté, de fraternité que j’ai rarement vu
ailleurs que dans ces villages de mineurs de fond. Mais quel rapport avec cet
enfant noir ?
- Au XX° siècle, l’Italie s’est un peu
enrichie et l’émigration s’est peu à peu tarie. Aujourd’hui, elle est
confrontée à un autre problème…
A ce moment-là, le bébé se réveilla et se mit
à pleurer. Dorée, comme si elle avait fait ça toute sa vie, trempa le doigt
dans son verre d’orangeade et le donna à téter à l’enfant en lui parlant
doucement. Les pleurs cessèrent instantanément.Tom regardait la scène, visiblement ému. Je sentis monter à mes
lèvres un sourire narquois devant la mièvrerie du tableau mais le fis
rapidement disparaître car il fallait bien l’avouer : j’étais moi aussi
ému.
- Dorée vous apprécie beaucoup, elle me l’a
dit. Elle m’a dit aussi s’être laissé aller avec vous à quelques confidences.
Rassurez-vous, elle ne les regrette pas, au contraire. Tom aurait voulu que
l’affaire se règle dans un secret absolu mais je l’ai moi-même persuadé qu’il
pouvait avoir confiance en vous. Et cela sans vraiment vous connaître. Vous
devriez en être fier.
J’étais surtout de plus en plus intrigué.
- Nous arrivons de Rome, et le bébé de
beaucoup plus au sud. Vous avez entendu parler de l’île de Lampedusa, près de
la Sicile. C’est de là-bas qu’il vient et de bien plus loin encore. Ses parents
et ceux qui l’accompagnaient sont morts dans le naufrage de leur bateau en tentant
de rejoindre les côtes italiennes. Il a été sauvé in extremis par un pêcheur
qui l’a recueilli dans sa famille.
Comment ignorer en effet le calvaire de tous ces
gens qui n’hésitaient pas à sacrifier d’importantes sommes d’argent pour payer
leur voyage à des passeurs qui, trop souvent, les abandonnaient au large de l’Eldorado
que les malheureux essayaient d’atteindre ?
- Je ne peux trop vous en dire plus. Le sud est un pays de silence. Tom et Dorée
ont eux aussi sacrifié leurs économies pour avoir ce bébé. Ne me demandez pas
quelle voie, je vous en prie.
Dorée se leva et, après avoir confié une
nouvelle fois le bébé à Tom, s’avança vers moi, plus resplendissante que jamais.
Elle me prit par la main et, debout, m’enlaça tendrement.
- Nous lui donnerons votre prénom. Si vous
voulez bien me le dire…
FIN
6 commentaires:
La question à deux sous : tu avais déjà ta fin quand tu as lancé l'histoire ?
Tu n'es pas obligé de répondre, les bons chefs cuisiniers ont droit de ne pas révéler leurs recettes ! :)
Ah ben ça alors...
Surtout, on ignorera à jamais le prénom du bébé et du narrateur ;-)
Et oui, le prénom, un nouveau mystère,un point de suspension comme à la fin de la saison d'une... série ! Mais, j'oubliais, tu n'en regarde pas.
Plume : je peux te répondre. Absolument pas, pas plus d'ailleurs que je n'avais l'idée du bébé. J'ai démarré en fait à partir du lieu : ce gîte hors du commun (et aussi de l'atmosphère d'un roman d'Ogawa).
Cornus : ben oui. Comme ça, ça nous évitera, à Karagar (il me semble que c'est lui qui en avait parlé) et à moi, d'avoir à les retenir...
Karagar : en fait, j'ai une petite idée. Mais pas de séries, rassure-toi. J'en parlerai quand je l'aurai un peu affinée. Un petit indice : ce texte ne formerait qu'une partie des chapitres, une autre histoire venant s'intercaler régulièrement entre eux. C'est tout nouveau, ça vient de sortir dans ma petite tête de retraité ! Mais, quoi qu'il en soit, je crains qu'il ne faille pas compter sur le prénom. Après "je", ce sera sans doute "il". Nous verrons.
Vive la "petite idée" !
Cornus : attends pour dire ! (si un jour, je le fais !)
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