Finalement, nous déjeunâmes ensemble, sur sa
terrasse à elle où il faisait plus frais. Elle avait des tomates, je remontais
de mon gîte une branche de céleri et une boîte de thon en miettes, prévue en
principe pour un soir où j’aurais peu de courage à me mettre à la cuisine. Une
bonne salade nous suffisait pour midi, accompagnée bien sûr pour moi d’un verre
de rosé bien frais.
Pendant le repas, Dorée tressaillait au
moindre bruit de moteur sur la route en contrebas. Après le café, je vis bien
qu’elle avait de plus en plus de mal à cacher sa nervosité. Elle se levait au moindre
prétexte et m’avait déjà demandé deux cigarettes. Je n’avais pas encore visité
le village de Borgo a Mozzano pourtant tout proche et lui proposai de m’y
accompagner. Elle parut hésiter puis accepta, contente sans doute d’échapper un
peu à son attente.
En fait, ce village n’offre rien de
particulier au touriste, mis à part un vieux pont auquel se rattache une
légende satanique et, dans l’église San Jacopo, une curieuse statue en terre
cuite attribuée à Andrea della Robia et représentant la Maddalena, Sainte Marie
Madeleine comme je le traduisis à Dorée. Curieusement, la sainte est assez
décharnée et apparaît sous un aspect plutôt masculin. Lorsque je la vis sous sa
cloche de verre protectrice, je songeai immédiatement aux nombreux tableaux
représentant Saint Jean Baptiste adulte.
Dorée s’arrêta longuement devant la statue
que je trouvais moi-même impressionnante de réalisme funèbre.
- Marie-Madeleine, c’était bien la pècheresse,
n‘est-ce pas ? Une des rares femmes à avoir suivi le Christ ?
- Certains prétendent même qu’elle fut son
épouse. Il ne l’a pas gâtée, della Robbia !
- On dirait qu’elle est vieille ici, et
asséchée par le remords… C’est criant de vérité.
- Aujourd’hui sans doute, les pècheresses
sont moins dévorées par leurs anciens péchés.
J’avais lancé cette dernière phrase pour
tenter de la faire sourire mais c’est d’un ton grave qu’elle me répondit :
- Qu’en savez-vous ? Pour ma part, je n’en
suis pas aussi certaine. Mais sortons, voulez-vous ? L’expression de ce visage m’oppresse.
Nous nous installâmes à la terrasse d’un café,
un peu plus haut dans le village. Mais cette fois-ci, pas de conversation
soutenue. Dorée restait silencieuse et j’en profitai pour surprendre quelques
bribes de conversations tenues par les rares passants qui traversaient la
place. L’un parlait de sa grand-mère malade, l’autre d’un voyage qu’il devait
faire jusqu’à Florence et qui l’angoissait
parce qu’il n’y était jamais allé. La vie de tous les jours, version italienne.
Nous fîmes ensuite quelques courses dans une
petite épicerie de la rue principale puis reprîmes la route de notre ermitage.
A peine étions-nous garés sur l‘esplanade que la voiture de Tom apparut au bas
du chemin. Dorée frissonna. Je voulus la laisser seule, craignant une explication
orageuse avec son mari, mais, devinant mes pensées, elle me retint par le bras.
- Après tout, vous avez bien le droit de
savoir.
5 commentaires:
Nous aussi on a droit de savoir !
Oui, on doit même savoir !
IL faut qu'on sache !
A tous : il y a de l'écho ou quoi, dans les commentaires ?
L'union fait la force !
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