jeudi 18 décembre 2014

Fiction (25)



Finalement, nous déjeunâmes ensemble, sur sa terrasse à elle où il faisait plus frais. Elle avait des tomates, je remontais de mon gîte une branche de céleri et une boîte de thon en miettes, prévue en principe pour un soir où j’aurais peu de courage à me mettre à la cuisine. Une bonne salade nous suffisait pour midi, accompagnée bien sûr pour moi d’un verre de rosé bien frais.

Pendant le repas, Dorée tressaillait au moindre bruit de moteur sur la route en contrebas. Après le café, je vis bien qu’elle avait de plus en plus de mal à cacher sa nervosité. Elle se levait au moindre prétexte et m’avait déjà demandé deux cigarettes. Je n’avais pas encore visité le village de Borgo a Mozzano pourtant tout proche et lui proposai de m’y accompagner. Elle parut hésiter puis accepta, contente sans doute d’échapper un peu à son attente.

En fait, ce village n’offre rien de particulier au touriste, mis à part un vieux pont auquel se rattache une légende satanique et, dans l’église San Jacopo, une curieuse statue en terre cuite attribuée à Andrea della Robia et représentant la Maddalena, Sainte Marie Madeleine comme je le traduisis à Dorée. Curieusement, la sainte est assez décharnée et apparaît sous un aspect plutôt masculin. Lorsque je la vis sous sa cloche de verre protectrice, je songeai immédiatement aux nombreux tableaux représentant Saint Jean Baptiste adulte.

Dorée s’arrêta longuement devant la statue que je trouvais moi-même impressionnante de réalisme funèbre.

- Marie-Madeleine, c’était bien la pècheresse, n‘est-ce pas ? Une des rares femmes à avoir suivi le Christ ?
- Certains prétendent même qu’elle fut son épouse. Il ne l’a pas gâtée, della Robbia !
- On dirait qu’elle est vieille ici, et asséchée par le remords… C’est criant de vérité.
- Aujourd’hui sans doute, les pècheresses sont moins dévorées par leurs anciens péchés.

J’avais lancé cette dernière phrase pour tenter de la faire sourire mais c’est d’un ton grave qu’elle me répondit :

- Qu’en savez-vous ? Pour ma part, je n’en suis pas aussi certaine. Mais sortons, voulez-vous ? L’expression de ce visage m’oppresse. 

Nous nous installâmes à la terrasse d’un café, un peu plus haut dans le village. Mais cette fois-ci, pas de conversation soutenue. Dorée restait silencieuse et j’en profitai pour surprendre quelques bribes de conversations tenues par les rares passants qui traversaient la place. L’un parlait de sa grand-mère malade, l’autre d’un voyage qu’il devait faire jusqu’à Florence et qui l’angoissait parce qu’il n’y était jamais allé. La vie de tous les jours, version italienne.

Nous fîmes ensuite quelques courses dans une petite épicerie de la rue principale puis reprîmes la route de notre ermitage. A peine étions-nous garés sur l‘esplanade que la voiture de Tom apparut au bas du chemin. Dorée frissonna. Je voulus la laisser seule, craignant une explication orageuse avec son mari, mais, devinant mes pensées, elle me retint par le bras.

- Après tout, vous avez bien le droit de savoir.

5 commentaires:

plumequivole a dit…

Nous aussi on a droit de savoir !

Cornus a dit…

Oui, on doit même savoir !

karagar a dit…

IL faut qu'on sache !

Calyste a dit…

A tous : il y a de l'écho ou quoi, dans les commentaires ?

plumequivole a dit…

L'union fait la force !