Lorsque j'arrivais dans la chambre de Pierre à la clinique, la télévision était presque toujours allumée. Qui mettait le poste en route, je n'en sais rien. Pas lui en tout cas, puisqu'il était en train peu à peu de devenir un légume. Et à cette heure-là, après le travail, c'était Plus belle la vie, une sorte de feuilleton marseillais qui dure encore aujourd'hui.
Avec ma mère, constamment branchée sur la 3, c'étaient Slam puis Questions pour un champion. Ce dernier jeu, je l'ai vu pendant sept ans, trois ou quatre fois par semaine, les soirs où j'allais la voir et la faire souper. Elle le réclamait parfois à l'avance en appelant Lucien (c'est à dire Julien) Lepers. Si je voulais lui faire avaler plus que le peu qu'elle acceptait et qui ne suffisait plus à la nourrir, elle prenait le présentateur à témoin de ma méchanceté, prétextant que j'essayais de l'empoisonner, et s'adressait à lui ou aux candidats comme s'ils avaient été présents dans la chambre.
Ce soir, en arrangeant ma crèche et mon sapin, j'ai mis par hasard la troisième chaîne et suis tombé sur..... Questions pour un champion. Et j'ai revu la chambre et le fauteuil roulant face à l'écran, la salle à manger que l'on finissait de nettoyer, le salon où les autres étaient installées, la petite cour où j'allais fumer une cigarette en attendant qu'on lui fasse sa toilette et qu'on la couche. En ce moment, on a dû décorer les murs pour ces femmes qui les regardent à peine.
Il y a des heures où je ne brancherai plus jamais la télévision.
lundi 22 décembre 2014
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2 commentaires:
Avec ma mère, j'ai eu de la chance. Elle est restée lucide presque jusqu'au bout (94 ans). Tard dans sa vie, elle s'est intéressée à la politique internationale. Quand je passais chez elle le soir, nous regardions un grand reportage ou une analyse bien documentée. Puis nous en parlions, ce qui a activé ses cellules cérébrales (et les miennes) et l'a aidée à sortir de son piétisme superflu. Je crois qu'à la fin de sa vie elle était réconciliée avec mon orientation et comprenait mon militantisme -- sans que nous en parlions.
André : heureux homme !
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