Je pris, ce soir-là, la précaution de tourner tous les
verrous de la porte d’entrée et de caler contre elle une chaise du salon en équilibre
instable : si l’on tentait de pénétrer chez moi, j’entendrais le bruit que
cette chaise ferait en tombant. Je serais au moins réveillé, faute de savoir
comment je réagirais si une telle chose se produisait. Je fis également le tour
de toutes les ouvertures, portes des chambres et fenêtres des deux étages pour
m’assurer que tout était hermétiquement clos, y compris le petit fenestron de
la salle de bain, bien étroit mais où j’estimais qu’un homme svelte pouvait
tout de même se glisser.
J’inspectais enfin toutes les pièces, vérifiant qu’aucun
intrus n’était caché dans un buffet ou derrière un canapé. Mais comment cela
aurait-il été possible ? Le visiteur, s’il était encore là au moment de
mon arrivée, avait largement eu le temps de s’enfuir pendant que je dînais chez
Tom et Dorée. D’ailleurs, je finis vite par penser que je me comportais là
comme un enfant qui a peur dans le noir et que ce n’était guère l’attitude qu’un
homme de mon âge devait adopter.
Pourtant, je ne parvenais pas à me mettre au lit. Ce n’était
pas tant dû à la peur qu’à une grande excitation nerveuse suite aux événements
de la soirée. Et puis je ne cessais de me répéter la même question :
pourquoi était-on entrer dans le gîte ? J’étais sûr maintenant que rien n’avait
été volé. Alors, qu’était venu faire le malfaiteur ?
A un moment, je pensai au voisin du bas de l’allée. Un homme
peu sympathique, mais de là à le soupçonner ! Il pouvait entrer comme il
voulait puisqu’il possédait le double des clés que lui avait remis Valeria. Il
n’avait donc nulle besoin de se servir de celle que j’avais cachée dans le
pot d’hortensias. Et si c’était le cas, je ne comprenais pas ce qu’il était venu
chercher en cachette pendant mon absence.
A l’époque où j’étais étudiant à Lyon, j’étais revenu plus
tôt que prévu dans ma chambre en cité universitaire : après une nuit
blanche passée à flirter dans une boîte, j’étais allé à l’université mais,
devant mon incapacité à comprendre quoi que ce soit des cours ce jour-là, j’avais
préféré rentrer et dormir un peu. En arrivant, j’avais trouvé dans la chambre
une femme de ménage et la femme du directeur en train de fouiller dans mes
affaires. Sans se déprendre de leur calme devant mon regard ahuri, elles m’avaient
expliqué que cela se faisait régulièrement pour vérifier que les étudiants n’y
cachaient pas de la drogue ou quelque produit illicite.
Mais cela ne collait pas avec la situation actuelle. J’avais
maintenant une bonne quarantaine d’années de plus et je n’imaginais pas que l'on
puisse surveiller un homme mûr comme on le ferait d’un jeune étudiant à peine
sorti de l’adolescence. Non, décidément, cette idée était absurde. Le voisin n’était
pour rien dans l’affaire, constat qui me ramenait encore aux sempiternelles
interrogations : qui ? Pourquoi ?
Je finis par m’installer dans le salon, assis face à la
porte d’entrée, attentif au moindre bruit. Mais rien ne se passait. Dehors
régnait un calme absolu, à peine dérangé parfois par le cri d’une chouette ou d’un
quelconque rapace nocturne qui me fit tressaillir la première fois où je l’entendis
mais auquel je finis par m’habituer à et ne plus accorder d’importance.
Au-dessus de moi, les hollandais devaient être couchés car je ne percevais plus
depuis bien longtemps leurs pas à travers le plancher. Mes révélations
semblaient ne pas les avoir trop inquiétés mais, après tout, ils étaient deux
alors que moi, j’étais seul.
Après avoir grillé deux ou trois cigarettes, je me levai pour
choisir, dans l’abondante bibliothèque de Valeria, un ouvrage susceptible de me
distraire un moment. Les étagères les plus proches de moi ne contenaient que
des livres de musique et de nombreuses partitions d’opéras. Il m’aurait plutôt
fallu écouter un disque mais le gîte ne possédait pas d’électrophone, encore
moins de lecteur de CD, et, en eût-il posséder un, je ne me serais pas risqué à
l’utiliser, par peur de réveiller mes voisins.
Au fond de la pièce, dans la partie la plus mal éclairée, de
très hauts rayonnages me fournirent ce que je cherchais : des centaines de
livres d’art, dont tout un étage sur la Toscane. Voilà ce qu’il me fallait,
puisque le sommeil ne me venait toujours pas. J’allais revisiter grâce à eux
les sites que je connaissais déjà pour la plupart.
J’en choisis finalement un sur le peintre Cimabue. Mais il était en assez mauvais
état et plus lourd que je ne le pensais. Par maladresse, je le laissai tomber
sur le sol et, alors que je me baissais
pour le ramasser, je découvris quelque chose que, depuis mon arrivée, je n’avais
pas encore remarqué.
5 commentaires:
Tu nous tiens en haleine !
Si je ne suis pas très adepte pour m'enfermer à la maison à triple tour, je détesterais qu'on vienne me tirer par les pieds pendant mon sommeil.
Les bruits naturels nocturnes ne me dérangent pas, sauf dans une contrée que je ne connais pas.
Il est plus que stressé le narrateur par cette histoire.
Toi et moi on devrait faire sponsoriser nos derniers écrits par un serrurier !
Ah cette fin ! Tu uses de stratagèmes de soap operas pour nous fidéliser, bourreau!
Chroum : j'essaie en tout cas.
Cornus : une nuit à l'orée de la forêt vierge en Afrique, je n'ai pas fermé l’œil à cause de tous les bruits que je n'identifiais pas.
Plume : bonne idée ! Çà arrondirait nos retraites ...
Karagar : il est vrai que je peux avoir parfois un petit côté sadique !
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