dimanche 26 octobre 2014

Fiction (20)



- Nous vécûmes séparés encore quelques mois mais les parents de Tom finirent par se rendre compte que nous nous aimions vraiment. Ce qui prévalait pour eux, c’était de rendre heureux leur fils et son bonheur passait par moi. Ils m’invitèrent un soir à partager leur repas. Dans la voiture, sur le chemin, j’appréhendais beaucoup la rencontre et à raison, car le début de la soirée fut plutôt tendu. La mère se cantonnait dans un silence glacial mais son père ne cessa de me poser des questions auxquelles je répondis le plus naturellement possible dans l’état où je me trouvais. J’avais les paumes des mains moites et ne cessais de les essuyer sur ma robe, dessous la table. Quant à Tom, il ne tenait pas en place sur sa chaise. 

Ma franchise et mon naturel extérieur durent faire leur effet car bientôt l’atmosphère se détendit. Nous en vînmes même à parler longuement de Maupassant, passion que nous avons en commun avec le père de Tom. Sa mère osa bientôt un sourire et fut ravie que je lui demande quelques conseils culinaires. Quand je les quittai, fort tard, j’avais gagné la partie. 

Nous nous mariâmes quelques mois plus tard. Nous n’étions que quatre à la cérémonie : Tom, ses parents et moi. Les miens sont morts dans un accident de la circulation il y a longtemps. Mais ce fut le plus beau jour de ma vie et de celle de Tom sans doute. Quand il me prit dans ses bras pour me faire franchir le seuil de notre nouvelle maison, je me sentis redevenir une vraie gamine. Nous n’étions pas très riches, puisque Tom continuait ses études mais cela ne nous gênait pas. Tom a beaucoup de sens pratique et avec des riens, il décora notre intérieur de façon merveilleuse. 

Elle avait les yeux qui brillaient à l’évocation de cette période heureuse. C’était un plaisir de la voir, rayonnante en prononçant ces paroles. Mais je pressentais qu’elle en arrivait peu à peu à des souvenirs plus pénibles. 

- Lorsque Tom, une fois ses études terminées, gagna enfin sa vie, nous nous aimions toujours autant. Bientôt, nous voulûmes avoir un enfant.  Nous avions tout prévu : la petite pièce qui me servait de bureau où corriger mes copies serait transformée en chambre de bébé ; après mon congé, nous avions les moyens d’embaucher une nourrice. Nous avons passé de longues soirées à choisir un prénom, ou plutôt deux, un de fille et un de garçon. Nous avons beaucoup ri en imaginant ce que donnerait l’association du nom de Tom avec les prénoms pressentis. Certaines fois, nous trouvions le résultat fade, d’autres fois dissonant, parfois drôle. L’un voulait ce prénom, l’autre préférait celui-là, mais nous finîmes par nous mettre d’accord. 

Hélas, toutes nos tentatives demeurèrent vaines. Nous consultâmes différents spécialistes, gynécologues, psychologues et même sexologues. On nous suggéra des régimes soi-disant appropriés, des positions pour faire l’amour plus susceptibles de porter leurs fruits. Rien n’y fit. Nous refusâmes une seule chose : les examens pour savoir lequel des deux était stérile. Nous redoutions que l’autre, même inconsciemment lui en veuille. C’est un peu lâche comme attitude, mais nous voulions tourner la page et continuer à nous aimer comme avant. Le temps que nous passions auparavant à tirer des plans sur la comète de notre futur bébé, nous le passâmes alors à nous persuader qu’il y avait dans la vie des problèmes plus importants et que notre couple était suffisamment fort pour surpasser cette épreuve.

Ce fut le cas quelques temps. Je me sentais coupable mais j’arrivais tant bien que mal à cacher mon mal-être à Tom. Nous sortions souvent, au cinéma, au théâtre et nous nous mîmes avec plus d’intensité encore au sport. Nous faisions de longues balades à pied ou en courant, nous allions régulièrement à la piscine. En fait, nous cherchions à nous étourdir et nous n’y parvenions pas. Je voyais peu à peu Tom perdre son sourire. Il n’était plus le même et, quand il ne savait pas que je l'observais, il portait sur le visage un masque de profonde tristesse. Il y eut des disputes, de plus en plus violentes. Nous étions tous deux à fleur de peau. 

Un jour, un ami nous suggéra de faire une demande d’adoption. Cela ramena le sourire chez nous : nous avions un os à ronger. Mais une fois la démarche lancée, nous attendîmes plusieurs mois sans que la situation progresse. Malgré plusieurs relances, nous n’eûmes jamais la joie de recevoir une réponse positive. Il y a bien longtemps de cela maintenant et nous avons aujourd’hui perdu tout espoir de réussir. Alors, vous voyez, nous voyageons !

Et, à ma grande surprise, elle éclata de rire. Elle venait de mettre fin, de façon assez abrupte, à ses confidences et semblait vouloir les gommer par son ultime pirouette. 

Le retour au gîte se fit dans un silence total.

4 commentaires:

karagar a dit…

Dis-donc ta bonne femme, elle différente à chaque épisode, je retrouve celle du début cette fois ci... Une mutante batave?

Calyste a dit…

karagar : "mutante batave", c'est joli !

Cornus a dit…

Oui, mais le narrateur ne se confie peu, lui à la "batavia" :-)

Sinon, rien à voir, mais j'espère que cela va de ton côté. Nous t'embrassons.

Calyste a dit…

Cornus : pour éviter toute salade ! Merci pour les bises.