Il fait un peu anachronique au mur de cette pièce à la peinture passée, salie, souillée par quelques graffitis indélébiles à la gloire des professeurs haïs (en fait, non, il n'y en a pas!), aux coins de placards et de portes égratignés au fil des années et des générations d'élèves, au carrelage qui a complaisamment amplifié les raclements de chaises et les crissements aigus des tables que l'on déplace sans ménagement. Lui si lisse encore, si blanc, si sensible à la lumière. Le tableau blanc!
On parlait autrefois du tableau noir. Qui saura bientôt de quoi il s'agit? Même celui-ci, avec ses allures de modernité, sera bientôt dépassé par les nouveautés technologiques et informatiques, plus vite, bien plus vite que son ancêtre recouvert des traces de craie de la journée. L'autre, l'ancêtre, est resté le roi des écoles pendant des années. On l'entretenait avec amour, le lessivant régulièrement, le dépoussiérant, nettoyant son étroit rebord où achevaient d'être inutiles les petits bouts de craies que l'on y abandonnait à côté du tampon effaceur.
Cette craie, il fallait en avoir une provision dans le placard, si possible de plusieurs couleurs: de la blanche, bien sûr, traditionnelle, pour écrire le commun de la leçon, de la rouge pour souligner et mettre en valeur les passages importants, de la verte aussi parfois, la plupart du temps pour le plaisir du changement. Lorsqu'on en manquait, que l'on avait oublié de réapprovisionner, on savait où en trouver sans aller trop loin: les collègues avaient beau camoufler consciencieusement leur boîte personnelle, on finissait toujours par la repérer.
Les collègues, c'étaient eux aussi qui laissaient leurs traces, comme une souillure au fond d'un cabinet, des morceaux de leçons d'histoire ou plus souvent de mathématiques parce qu'un professeur de mathématiques, de la même façon qu'il sait toujours comment ouvrir une porte et jamais comment la refermer derrière lui, ne sait pas effacer son tableau et laisse le suivant le faire à sa place. Joie pour ce suivant quelquefois (je parle de moi) de constater de visu combien certains de ses collègues ne maîtrisent rien de l'orthographe élémentaire!
Parfois, pour prolonger leur durée de vie (des tableaux, pas des collègues!), on les rechapait pendant les vacances, à la manière des vieux pneus. Je ne connais pas la technique de cette rénovation. Ce que je sais, c'est qu'après, ils avaient beau être comme neufs, on ne pouvait plus écrire dessus sans que la main et la craie ne dérapent au moindre mot.
Il en reste encore beaucoup, de ces dinosaures dont Jacques Baudoin fit autrefois le lieu de l'un de ses sketches les plus connus, La Leçon d'anglais. Le blackboard n'est pas encore totalement détrôné mais la fin de son règne a déjà sonné. Pour ma part, j'ai le nouveau modèle blanc, sur lequel on écrit à l'aide d'un feutre spécial à l'odeur un peu entêtante, dans deux de mes salles de classe. Je l'ai très vite adopté, sans un regard en arrière vers ceux qui ont fait, il y a des années, que j'ai définitivement abandonné l'idée de porter des lentilles de contact à cause de la poussière de craie qui s'y déposait tout au long de la journée et constituait le soir une sorte de pâte très irritante pour l'œil.
Plus de crissement désagréable qui vrille les nerfs non plus, plus de provision, plus de recherche du tampon. Un simple feutre dans le cartable et l'on (je) retrouve le plaisir d'écrire sur une surface douce qui pousse à arrondir ses lettres, je ne sais pas pourquoi. Sur les anciens tableaux noirs, je n'écrivais presque plus. Maintenant tout prétexte est bon pour sentir le feutre glisser comme la main sur un drap de soie. J'ai souri ce matin en pensant que je revivais la même expérience qu'il y a trois ans en ouvrant ce blog, où l'écrire par le clavier m'a libéré de mes blocages avec le papier. Il faudra bien qu'un jour je comprenne pourquoi.
mardi 9 novembre 2010
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13 commentaires:
Jacques Baudoin et la panse de brebis farcie :D
J'avais dans machambre une double porte qui avait été condamnée puisque communiquant avec la salle d'attente. Elle avait été isolée par une sorte de caisson que mes parents avaient fait recouvrir à ma demande d'un immense tableau noir sur lequel je me suis défoulée des années durant. C'était aussi d'attraction incontournable pour mes copains et mes frères et soeur. Pas sûre que s'il avait été blanc je l'aurai aimé autant.
J'avais un tableau vert, sur un chevalet. Malheureusement je n'ai pas pu en profiter comme je voulais, ma mère-dragon y veillait... ça faisait trop de poussière, ça salissait mes poignets de vêtement... tout était bon pour dire non.
Calyste as-tu déjà eu une expérience avec un tableau blanc numérique ? Même si certains y voient une façon de ne plus écrire, d'autres s'en donnent à cœur joie pour les commentaires, les mises en valeur...
Comme je suis une petite nouvelle, je m'autorise à te dire combien j'aime ton écriture, le fond et la forme. Ça coule comme une rêverie. Merci
Ah moi j'en ai eu des démélés avec le tableau blanc! En primaire j'avais 2 tableaux. un vieux noir tout décrépi et plutôt mal rechappé comme tu dis, et un blanc que j'avais fait installer à cause d'un élève asthmatique. Le hic, c'est que moi j'allergisais à l'odeur des feutres ! L'AEP bienveillante piocha dans ses économies pour m'acheter des feutres écolos sans odeur qui coûtaient la peau des fesses. Ce fut finalement bénéfique puisque je modifiai ma façon de travailler en essayant d'écrire moins au tableau. Mes chers élèves en ont surement acquis une mémoire auditive sur-dimensionnée !
Plus tard quand j'ai bifurqué dans la formation pour adultes j'ai plus ou moins été condamnée au tableau blanc, je me suis mise à avaler des litres d'au pendant les cours...et j'ai condamné mes stagiaires à vivre toutes fenêtres ouvertes ! Il y a eu des frondes ! Mais c'était ça ou l'étouffement progressif de la prof...Quand j'y pense, certains y ont peut-être vu une opportunité...
Tableaux noirs, verts, blancs... Carré blanc sur fond blanc, quand le prof n'a encore rien écrit !
L'odeur de la craie, oui, il faudrait un logiciel ou une "appli" sur iPhone ou Mac pour la retrouver pendant que l'on tape sur son clavier.
Mais les profs ne sont pas encore passés à Powerpoint ? Quel retard !
Calyste as-tu déjà eu une expérience avec un tableau blanc numérique ?
Erin, je ne savais pas que les profs avaient des relations aussi intimes avec leurs instruments de travail!...
moi j'choisis le noir!! ;-)
Des tableaux, durant TOUTE ma scolarité, je n'ai quasiment connu que des tableaux verts ou noirs matalliques (et pas en bois) qui n'avaient pas beoin d'être repeints. Et en ce qui me concerne, en tant qu'intervenant universitaire, je préfère largement un tableau comme ça qu'un tableau blanc parce que les feutres puent, écrivent mal ou plus du tout et que tu as un mal fou à en trouver un qui écrit, parce que ce n'est pas toujours si facile que ça à effacer... Pour moi, c'est un non sens. Alors certes, la craie, c'est pas génial non plus, mais cela me paraît moins pire sur le plan sanitaire et environnemental. Quant aux tableaux numériques, je ne connais pas. Une projection vidéo ne suffirait-elle pas ? Tous mes cours actuels, comme ceux de mes collègues sont faits sur powerpoint ou équivalent, mais il est vrai que nous ne sommes pas des enseignant à l'année dans le secondaire.
J'ai ma p'tite réserve de craie que je surveille jalousement. J'aime le bruit de la craie sur un tableau de bois, ça traduit beaucoup du caractère ou de l'humeur de celui qui écrit.
Chacun son tableau, un peu comme si c'était un objet magique qui, dédaignant l'éponge, garde, indélébile, le souvenir de nos jeunes années. Je pense aussi, comme beaucoup d'entre vous, que la technologie moderne supprime cette part de poésie tout en n'apportant pas forcément de progrès palpable.
Il y a du vrai dans ce que tu sous-entend Piergil... Lors de mes entretiens sur les tableaux blancs numériques (dossier à faire pour un td), j'ai pu constater combien la relation avec le tableau à craie avait quelque chose de sensuelle... comme semblait le montrer le vocabulaire employé.
Une tableau blanc numérique, Cornus, est plus qu'un simple rétroprojecteur. Pour schématiser, c'est un croisement entre un écran d'ordinateur tactile et un tableau.
Imagine les animations que tu peux faire, les juxtapositions de support (vidéo, écriture, son, photo...), les enregistrements de séances avec les commentaires, les AR parfois nécessaires simplifiés, les enrichissements spécifiques à une classe donnée...
Cela permet une très grande liberté, et beaucoup de créativité. Mais cela nécessite aussi deux choses importantes, une formation suffisante au support, à défaut une curiosité pour le monde numérique, et un remaniement des structures des séances.
Les TBN on en trouve à tous les niveaux, du primaire à l'université... les dotations sont juste un peu longues à venir.
Calyste, la poésie n'existe t-elle pas seulement parce que c'est toi qui la crée et non dans l'objet lui-même ? la poésie ne vient-elle pas de nos souvenirs d'enfance ?
Le commentaire de D. Hasselmann m'a fait pensé à ceci, reçu d'une collègue qui se coltine une veille sur l'édition électronique : http://www.ardoisetactile.com/
J'ai bien l'impression, dans toute ma scolarité, de n'avoir été confronté qu'au bon vieux tableau noir et aux craies blanches. Quand des craies de couleur faisaient leur entrée, c'était toujours un peu la fête...
Moi, j'ai gardé une certaine sympathie pour le tableau noir, là où je bosse, j'ai l'occasion selon la salle, d'utiliser les 2, et un petit retour à la craie ne me déplait pas.
Un des objets mythiques du XX° siècle alors, ce tableau noir? Je confirme en disant que les élèves, lorsqu'ils sont laissés seuls aux intercours investissent, pour y dessiner, le tableau noir avec les craies à leur disposition. Jamais le tableau blanc.
Erin> Merci, mais je ne vois pas concrètement quels sont les vrais apports du tableau numérique. A mon niveau, j'ai l'impression d'y voir un côté gadget. Et est-ce que le côté technologique ne finit-il pas par prendre le pas sur le fond ?
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