lundi 22 novembre 2010

Correspondance

Je lisais quelque part, je ne sais où, ces derniers jours, un billet de blog, ou un article de journal, je ne me souviens plus, sur le mot "correspondance". Cette lecture qui, au premier abord, m'a paru anodine, n'a cessé depuis de me trotter dans la tête. En effet, je ne m'étais jamais rendu compte combien ce mot était particulier.

L'étymologie en est banal: cum-respondere , en latin, signifie répondre avec. Le Robert Dictionnaire historique de la langue française nous précise qu'en 1236, correspondre signifie s'harmoniser, concorder, que vers 1300 il prend de plus le sens de payer en retour. J'aime déjà beaucoup cet évolution progressive du sens, logique comme d'habitude, mais ici en plus porteuse d'espoir: l'affinité est payée de retour, la correspondance fonctionne dans les deux sens.

Pourtant ce mot, si beau, marque à la fois la proximité et l'éloignement de ce à quoi ou avec qui l'on correspond. On se forme par correspondance sans jamais voir le formateur qui nous apporte le savoir. Au collège autrefois, on avait des "correspondants", particulièrement avec des collégiens de pays anglo-saxons (le mien n'a jamais reçu qu'une lettre de moi, ce système d'échange ne me "correspondant" pas, surtout en anglais), en général des gens que l'on ne rencontrait jamais.
Le mot apparaît en 1832 dans le contexte journalistique: un correspondant est un envoyé "spécial" qui fait part à sa rédaction de chroniques de ce qui se passe dans les pays étrangers, nous rendant ainsi plus proche ce qui se vit ailleurs. J'ai l'impression que, depuis quelques années, le mot s'emploie plus rarement à la télévision.

Et les trains qui n'arrivent pas à l'heure et font que l'on manque sa correspondance pour telle ou telle destination. Celui qui voyage s'éloigne-t-il ou revient-il? Et les grandes correspondances entre écrivains qui nous parviennent parfois dans leur intégralité, avec les lettres des deux: elles nous disent la proximité des deux "épistoliers", leur proximité, et nous rejette, nous, les lecteurs, en dehors de cette relation, faisant de nous des voyeurs plus ou moins repentants.

Correspondance, c'est aussi relation de conformité, quand il s'agit d'opinions ou de sentiments par exemple. mais le sens que je préfère à ce mot, c'est celui de Baudelaire, qui rapproche des perceptions sensorielles de ce monde terrestre (correspondances horizontales) ou établit des analogies entre notre monde sensible et un autre, poétique (correspondances verticales). Je me souviens de l'éblouissement ressenti lorsque j'avais, au lycée, découvert ce poème des Fleurs du mal:

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L'homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l'observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.


(Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal)

L'ayant lu, je m'étais senti moins seul, une porte s'était ouverte.

4 commentaires:

P. P. Lemoqeur a dit…

Oui, ça marche, cette histoire de "correspondance", sauf que ce ne sont pas des "correspondances objectives" comme certains veulent le croire et/ou le faire croire. Ce ne sont que des rapports de sensibilités qui peuvent n'être que momentanés quant ils ne sont pas successifs.
Ces "correspondances" ne peuvent être, et c'est heureux, et pour la poésie et la pensée en général, que subjectives, donc éphémères, réversibles et incontrôlables.

Voyelle et Consonne a dit…

Je ne suis pas un fan de Baudelaire poète, mais celui-ci me touche aussi beaucoup et, je l'espère, permet de faire entrer les élèves dans la dimension poétique.

karagar a dit…

vive la polysémie, et la photo me correspond bien...

Calyste a dit…

Heureusement, PP, qu'elles ne sont pas objectives! Quel intérêt auraient-elles si elles se limitaient à de simples équations mathématiques? Sincérité de l'instant, sensibilité plus à l'écoute à ce moment qu'à d'autres. C'est ça aussi, la vie de tous les jours, non? Je suis d'accord avec toi sur le bonheur évoqué dans ta dernière phrase

Alors que moi, il m'a toujours fasciné, Vec.

Il me semblait bien, karagar! Mais qui est cette Paule Issémy? .....