Les premières copies arrivent. Mes collègues, qui me voient les corriger, ne manquent pas de s'exclamer: "Quoi, déjà? Mais tu es fou?". En fait ce ne sont que quelques petits tests d'orthographe et de lecture, mis au point il y a bien longtemps (qu'il faudrait peut-être remettre au goût, ou au niveau, du jour), qui me permettent de déceler rapidement les plus gros problèmes chez certains élèves.
Si ce genre d'épreuves traumatisait un peu les enfants il y a quelques années, aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Ils s'y prêtent volontiers et, pour la plupart d'entre eux, sans moiteur excessive dans le creux de la paume.
Ces premières copies me permettent aussi de recueillir de nombreux autres renseignements sur mes élèves: leur écriture, lisible ou non, leur propreté, leur aptitude à prendre la feuille du bon côté, à mettre leur nom et leur prénom au bon endroit, à écrire sur les lignes, à souligner sans "baver", à respecter une consigne orale ou écrite, à écouter les précisions, à se faire confiance. Bien sûr, pour certains de ces points, il faut déjà avoir le regard affûte du vieux "loup de mer" que je suis dans mon rafiot classe.
En général, en début de sixième, nous avons à mettre en place un nombre extravagant de petits points, de détail certes mais qui, s'ils ne sont pas acquis tout de suite, peuvent alourdir une année scolaire. Bien présenter sa copie, mettre la marge à gauche, ne pas déchirer ou découper la feuille si elle n'est pas entièrement remplie, ne pas oublier d'indiquer son nom (je ne suis pas maniaque au point d'imposer un côté, en haut en droite ou à gauche, pour ce faire).
Alors il faut vraiment s'armer de patience car l'habitude de tout expliquer a été perdue pendant les vacances et une bonne partie de l'année précédente. J'ai chaque fois, en septembre, l'impression, avec eux, de régresser beaucoup. Heureusement, pour la majorité d'entre eux, cela ne dure pas et la Toussaint les voit parés pour le grand voyage. Le plus difficile à obtenir? Qu'ils restent assis à leur place et ne viennent pas m'assaillir au bureau dès l'entrée en classe pour me demander une précision, m'avouer un oubli ou me dire que "M'sieur, y a Benoît qui m'a pincé les fesses dans le rang!". Leur apprendre à vivre avec les autres, à penser qu'ils ne sont pas seuls et que le professeur n'est pas uniquement à leur service et à leur écoute. Leur donner l'habitude de lever la main pour intervenir.
Et surtout leur faire dépasser le stade du prénom pour accéder à celui du nom. Je m'explique. J'ai été éduqué dans un établissement (collège et lycée) qui, bien que public, n'était pas mixte. Même dans les rangs des professeurs, on ne croisait guère de femmes (Heureux temps! Non, aïe, je retire!). Ces messieurs, pour la plupart à mon époque fort âgés, presque tous des puits de science, avaient coutume de nous appeler uniquement par nos noms de famille: " Lefort, passez au tableau! Montrond, taisez-vous immédiatement! Qu'avez-vous de si important à confier à votre voisin, Lugrin?", etc. Cela ne me choquait nullement, me plaisait même. J'avais l'impression d'avoir grandi, d'être quelqu'un de plus important, qui comptait aux yeux de ces barbons lettrés.
Aussi, lorsque je suis à mon tour devenu enseignant, ai-je perpétué la tradition. Mais les garçons n'étaient plus seuls, les filles étaient arrivées, de plus en plus nombreuses, au point d'être souvent majoritaires. Ces demoiselles se sont senties agressées par ma façon de faire. Trop rude, trop virile. Elles demandaient du prénom, de la douceur, de la féminité, bref, tout ce que la plupart des professeurs femmes étaient trop contentes de leur apporter. J'ai résisté, parce que j'aime résisté, que je suis têtu et que je ne savais pas faire autrement.
Peu à peu, j'ai pu, au prix d'un effort surhumain, associer le prénom au nom: ainsi Durand est devenu Pierre Durand et Belletemps Mathilde Belletemps. Mais jamais le prénom seul. Je trouve cela parfaitement stupide et démagogue (mais je sais que j'ai peut-être tort): j'ai toujours estimé qu'un nom était éminemment respectable et représentait bien un individu, mâle ou femelle, alors que des Charles, des Marie ou des Valentine, on en croise à la pelle dans les couloirs de chaque étage.
Subsistance de mon ancienne façon d'agir? Lorsque la situation se dégrade vraiment avec tel ou tel et que je ne plaisante plus, j'utilise le "Monsieur Durand" ou le "Mademoiselle Belletemps", même dans les plus petites classes. Le code est vite établi avec les élèves et ils savent que l'on passe à autre chose, qu'il est temps de faire profil bas. Si l'enquiquineur (ou -neuse) persiste, là, c'est le nom que je tonitrue!
Et puis, avec mes collègues, je reviens parfois à mes vieilles amours. Lorsqu'il s'agit de quelqu'un que j'aime bien, avec qui j'éprouve du plaisir à travailler, je peux employer le nom de famille qui, pour moi, sonne plus affectif, plus tendre. En général, ils aiment. Même les femmes s'y sont faites. Elles savent que, loin d'être un barrage à la communication, c'est plutôt un petit bisou que je leur fais dans le cou. Les messieurs, eux, pensent ce qu'ils veulent!
jeudi 10 septembre 2009
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12 commentaires:
Et tu tutoies les élèves, ou tu utilises le "vous" ? J'ignore si ça se fait, ou plutôt si ça revient à la mode...
Je les tutoie, sauf lorsque je veux être dur avec eux.
Le pire, à mon sens, c'est l'appel du nom sans le prénom du professeur à l'élève.
Pas d'accord avec toi, Olivier: je viens juste d'écrire le contraire!
Moi au lycée (appelé lycée dès la 6ème, dans ces temps préhistoriques) je détestais qu'on m'appelle par mon nom,j'avais l'impression d'être à l'armée. En plus les profs faisaient exprès de le franciser, ou de le germaniser plus qu'il ne le demandait. Insupportable.Par contre, j'iamais qu'on nous appelle Monsieur X, Mademoiselle Y.Et j'avais beaucoup de respect pour les profs qui ce faisant nous respectaient aussi.En cas de remontrance par contre, et tempéré d'un un brin de sourire, le nom de famille tout seul avait presque des couleurs tendres. Compliqué tout ça.
Moi aussi, KarregWenn, l'établissement s'appelait lycée dès la 6° et le primaire était le petit lycée. Le ressenti des filles et des garçons à cet âge-là est assez différent. L'essentiel, comme tu le dis, est l'instauration d'un respect mutuel. Mais ça devrait être la base naturelle de tout l'enseignement, non?
J'avais cru lire que tu associais le nom et le prénom, au lieu d'utiliser le seul prénom.
Toutes mes années collège et lycée, on m'a appelé Autissier. Je n'aimais pas, mais vraiment pas.
Est-ce qu'on interpeller ses voisins, ses collègues, ainsi ?
Après, évidemment, tu fais comme tu le sens.
Tout dépend comment c'est prononcé, et tout dépend du nom. Un nom de famille breton, très long et avec plein d'épines dedans, prononcé sur un ton sec, ca sonne comme un coup de cravache et ca déchire les oreilles. Je me rappelle encore d'un cours de travaux manuels avec Madame Visonneau : COETMELLEC cessez de gigoter comme une danseuse ! Mais c'était Madame Visonneau, qui avait la narine délicate, et une jour pour l'écoeurer un peu plus toutes les filles sont venues en cours littéralement tartinées au patchouli
"Avec mon fidel souvenir", comme l'a écrit le réactionnaire François de Closets (voir portrait aujourd'hui dans "Libé").
Olivier, si je faisais ce que je sens, je les appellerais par leur nom, uniquement (surtout les garçons). Mais j'emploie en fait nom et prénom associés.
Oui, Kranzler, je trouve qu'un nom de famille prononcé d'une certaine façon peut contenir beaucoup de tendresse. Pour la prononciation, on peut avoir des surprises. Par exemple, j'ai eu une élève d'origine transalpine dont le nom de famille était beau prononcé à l'italienne et assez laid à la française. Elle n'a jamais voulu que je le prononce avec l'accent italien! Intégration, quand tu nous tiens!
Dominique, ce monsieur m'a toujours tapé sur le système, comme on dit chez moi!
Curieux, terriblement curieux.
Ma façon de procéder est aux antipodes des tiennes. Mais là aussi, je crois qu'en tant que profs nous sommes la conséquence inévitable de ce que nous aimions, ou pas, n tant qu'élèves. Pas que pour la façon d'interpeler d'ailleurs.
Et puis, les élèves sentent ce qui se cache derrière le masque. Très vite. Qu'on les appelle Titi, Toto ou Bozo d'ailleurs. Les noms ne changent rien à l'affaire.
Oui, d'abord établir un contact. Ensuite la façon de les nommer importe peu si elle est respectueuse.
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