Les soldats qu’il avait commandés en Sicile se donnaient un grand festin pour célébrer le jour anniversaire de la bataille d’Éryx, et, comme le maître était absent et qu’ils se trouvaient nombreux, ils mangeaient et ils buvaient en pleine liberté.
Les capitaines, portant des cothurnes de bronze, s’étaient placés dans le chemin du milieu, sous un voile de pourpre à franges d’or, qui s’étendait depuis le mur des écuries jusqu’à la première terrasse du palais ; le commun des soldats était répandu sous les arbres, où l’on distinguait quantité de bâtiments à toit plat, pressoirs, celliers, magasins, boulangeries et arsenaux, avec une cour pour les éléphants, des fosses pour les bêtes féroces, une prison pour les esclaves.
Des figuiers entouraient les cuisines ; un bois de sycomores se prolongeait jusqu’à des masses de verdure, où des grenades resplendissaient parmi les touffes blanches des cotonniers ; des vignes, chargées de grappes, montaient dans le branchage des pins ; un champ de roses s’épanouissait sous des platanes ; de place en place sur des gazons se balançaient des lis ; un sable noir, mêlé à de la poudre de corail, parsemait les sentiers, et, au milieu, l’avenue des cyprès faisait d’un bout à l’autre comme une double colonnade d’obélisques verts.
Le palais, bâti en marbre numidique tacheté de jaune, superposait tout au fond, sur de larges assises, ses quatre étages en terrasses. Avec son grand escalier droit en bois d’ébène, portant aux angles de chaque marche la proue d’une galère vaincue, ses portes rouges écartelées d’une croix noire, ses grillages d’airain qui le défendaient en bas des scorpions, et ses treillis de baguettes dorées qui bouchaient en haut ses ouvertures, il semblait aux soldats, dans son opulence farouche, aussi solennel et impénétrable que le visage d’Hamilcar.^
(...)
Gustave Flaubert
8 commentaires:
Jamais lu.
C'est comme si on y était !
On pourrait sans doute comparer l'évolution de l'art de la description à celui de la peinture, avec un décalage temporaire. Ici on est plus dans la peinture romantique que dans l'impressionnisme..
C'est un tort !
Cet incipit m'a toujours fait beaucoup rêver.
Tout à fait d'accord avec toi, même si , souvent, il y a des touches de réalisme chez Flaubert.
Calyste> Je n'ai lu que Madame Bovary et en dehors du style, d'une certaine musicalité et du début avec le jeune écolier Charles, j'ai trouvé cela terriblement ennuyeux. J'étais encore jeune, certes...
Ne t'inquiète pas : je n'ai jamais pu avaler L'Education Sentimentale.
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