mardi 10 février 2015

Harcèlement

On parle beaucoup en ce moment, à la radio comme à la télévision, du harcèlement à l'école, harcèlement qui, maintenant, déborde largement du cadre scolaire par le biais des réseaux sociaux. Un bon élève, un gros, une trop timide peuvent à tout moment voir leur vie dévastée par des attaques aussi méchantes qu'imbéciles.

J'entendais l'autre soir une mère dont la fille, suite à ces attaques répétées, avait fini par se suicider, en se pendant dans sa chambre après avoir symboliquement pendu près d'elle son téléphone portable. Cette mère a fondé une association pour tenter de lutter contre ce fléau et conscientiser ceux, parents et éducateurs, qui peuvent tenter d'y remédier.

J'approuve entièrement cette femme courageuse qui se bat vaillamment contre quelque chose que l'on a souvent tendance à minimiser et encore plus souvent à passer sous silence. Je voudrais, à la défense des enseignants, dire qu'il est très difficile pour eux de déceler ce genre de pratiques, le lieu privilégié de ce harcèlement n'étant pas la salle de cours mais, dans l'enceinte scolaire, la cour de récréation.

Personnellement, je n'ai eu affaire qu'une seule fois à ce genre de pratiques. J'avais, en cinquième, une jeune fille intelligente mais peu sure d'elle qui faisait tout pour se faire oublier. Ses résultats scolaires étaient excellents mais elle ne semblait pas épanouie. Peu à peu, cependant, elle parut s'ouvrir et être plus à l'aise. Elle venait en cours avec des vêtements sages et, sans doute, pour les autres, un peu démodés, en particulier des corsages qui lui couvraient l'ensemble des bras. Suite à son évolution, elle arriva un jour en classe en manches courtes et je pus constater alors qu'elle avait les avant-bras couverts de "taches de vin", une pigmentation anormale de l'épiderme.

Nous étudiions à ce moment-là, La Cicatrice, le roman le plus connu de l'auteur américain francophone Bruce Lowery. Il y est question du rejet d'un enfant par ses camarades à cause d'un bec de lièvre (la fameuse cicatrice) et des conséquences dramatiques de ce rejet sur l'adolescent. Le roman se termine par la mort du petit frère du héros, tombé dans l'escalier après que son frère l'a rejeté.

Je finissais toujours mon étude par un simulacre de procès où je posais aux élèves la question suivante : le héros est-il responsable de la mort de son frère ? Les élèves jouaient ainsi le rôle des jurés dans un procès d'assises. Cette année-là, comme d'ailleurs chaque année, rares étaient les élèves qui condamnaient l'adolescent. Une très grande majorité pensait au contraire qu'il était scandaleux de traiter Jeff, le héros, de cette façon. Bien entendu, je ne pouvais que me réjouir de voir les réactions scandalisées de tous.

Quelques temps après, la jeune fille timide ne vint plus au collège. Je crus d'abord à une maladie passagère, ce que prétextèrent d'ailleurs les parents pour excuser l'absence de leur fille. Mais, cette absence durant plus que d'ordinaire, nous finîmes par apprendre  que la jeune fille n'était pas malade mais ne voulait plus, ne pouvait plus venir à l'école. Ses camarades de classe la traitaient, entre autres amabilités, de "peau-rouge".

Je crois que je pris ce jour-là la plus belle colère de ma carrière d'enseignant. Quoi, ces petits chérubins aux réactions si vertueuses en classe face aux malheurs d'un personnage de roman, réactions probablement sincères en plus, se comportaient de la même façon que les "bourreaux" de la fiction dans leur vie de tous les jours ? Je n'eus pas de mots trop durs pour eux et, m'en prenant individuellement à chacun d'entre eux, je me permis de faire ressortir en classe tout ce qu'on l'on pouvait reprocher à chacun, une odeur désagréable, une lenteur de compréhension, une allure d'asperge, etc. Si l'on pouvait rire de l'une, on pouvait rire de tous, mais c'était moi qui lançais les plaisanteries.

Je n'eus aucune réaction indignée de parents, non parce qu'ils étaient d'accord avec moi mais plus sûrement parce que leur progéniture s'était bien gardée de leur parler du problème. Ce que je n'avais pu supporter, c'est l'hypocrisie sociale qui avait été à l’œuvre : il était de bon ton de condamner publiquement un comportement scandaleux mais, dans la vie "privée", on pouvait adopter le même. La jeune fille, elle, ne réapparut jamais au collège. On l'avait fait inscrire ailleurs, sans doute pour se débarrasser de la question, ou plutôt de la réponse à donner. J'appris, quelques années plus tard, qu'elle avait épousé un autre élève du collège, qu'elle était mère de famille et passait une vie très heureuse.

6 commentaires:

plumequivole a dit…

Belle et saine colère, professeur !
Cela me rappelle un garçon de ma classe de 6ème/5ème dont tous, filles y compris, se moquaient parce qu'il n'avait pas l'allure assez "mec". T'imagines, les morpions de 12 ans, qui eux se prenaient pour des "vrais mecs", on croit rêver. Moi j'étais sidérée par sa capacité à encaisser. On aurait dit que tout glissait sans l'atteindre. On aurait dit... Il ne faisait que sourire. Je l'avais complètement oublié et récemment en jetant un oeil sur une vieille photo je me suis souvenue de tout ça et me suis demandée comment il avait réellement vécu ça. Je me suis dit aussi que m'abstenir de participer au lynchage n'avait pas été assez. Mais bon, c'est un peu tard pour les remords.

Cornus a dit…

Il est à mon avis, dans le cadre d'un groupe, très facile de se laisser aller à des formes de harcèlement ou de dénigrement. Des expériences, des exemples nombreux le montrent, hélas.
Personnellement, surtout quand j'étais au collège, j'avais une allure, un comportement atypique et j'ai fait l'objet de moqueries répétées, de mises à l'écart et aussi de violences à l'extérieur de l'établissement (à l'intérieur, c'était plus difficile) de garçons qui m'attaquèrent en groupes (y compris d'élèves plus grands venus en renfort et qui ne me connaissaient pas ou peu). Seulement, j'ai su prendre la fuite (je courais plus vite qu'eux) ou me défendant et an cognant par deux fois. Cela n'est pas allé plus loin en termes de violence, non pas parce que j'étais le plus fort (il y avait des élèves plus baraqués que moi), mais parce que j'avais du répondant et que mes réactions étaient probablement imprévisibles. Mon cas n'est pas grave et a sans douté été vécu par beaucoup de personnes. D'autres, qui n'auraient pas eu ce répondant auraient pu sombrer dans ce que tu décris ou qu'on entend dans les médias.
Mais tu comprendras que je suis forcément sensible à ces choses là et je suis heureux que tu en parles.
Ta sensibilité, ta réaction à cet égard te correspondent bien et cela fait partie de toutes les choses pour lesquelles tu es quelqu'un de vraiment bien.

CHROUM-BADABAN a dit…

Cette violence verbale et physique qu'on nomme aujourd'hui harcèlement, je l'ai connue étant gosse. Poursuivi jusque dans les chiottes de l'école élémentaire.
Ce qui m'avait mis le plus en rage était d'abord l'impossibilité d'en parler à mes parents qui m'en auraient retourné deux parce qu'ils ne m'auraient pas cru. Les deux mecs plus âgés que moi et plus forts, je ne leur en voulais pas vraiment parce qu'ils étaient plus pitoyables que courageux. Mais, à mes parents, qu'est-ce que je leur en ai voulu !
Récemment j'ai appris qu'une très jeune fille s'était suicidée. J'ai été très choqué par cette triste nouvelle alors que je ne connaissais pas cette enfant. Je n'ai pas une seconde pensé que s'était peut-être dû à un harcèlement... D'emblée j'ai pensé que c'était sans doute de la faute aux parents..., aux adultes...

Calyste a dit…

Plume : ah ! le silence ! On devrait parfois le classer dans les crimes ! Mais aujourd'hui, combien de criminels y aurait-il ?

Cornus : tu me ferais presque rougir !

Chroum : mes parents auraient sans doute réagi de la même façon ! Quand je revenais avec une punition (des lignes, à l'époque), elle était automatiquement doublée.

Karagar a dit…

C'est curieux, moi qui n'ai jamais subi cela, je l'ai toujours craint,j'ai toujours ete sur mes gardes et quand on en parle, comme en ce moment, cela me trouble, m'affecte comme si je l'avais vécu .

Calyste a dit…

Karagar : curieux, en effet. Mais on peut aussi se sentir concerné sans jamais l'avoir vécu.