Dans la nuit, je me réveillai avec l’impression d’avoir
oublié quelque chose. Il est étonnant de constater comment le cerveau, même assoupi,
continue sans relâche son travail de recherche et ne lâche jamais le morceau. J’avais
parfois aussi cette sensation à l’état de veille : un manque, un trou, un
circuit qui n’arrivait pas à terme. En général, je ne parvenais à rien si je m’obstinais
à chercher de quoi il s’agit. Il suffisait souvent de passer à autre chose, de
se lancer dans une autre activité pour que, venue du fond, surgisse la
solution.
Ce que je fis cette nuit-là. Je me relevai et gagnai
silencieusement la terrasse pour y fumer une cigarette. Le ciel était sans
nuages. Sans aucun doute, il ferait beau le lendemain. Je n’avais pas encore
prévu ce que j’allais entreprendre. Peut-être une virée à Florence, l’incontournable,
la mal-aimée de mes villes italiennes. J’avais l’intention de revoir Santa Maria
Novella, cette église-musée juste en face de la gare centrale. Pourquoi ne pas
le faire le lendemain ?
En m’approchant de ma voiture pour vérifier si j’avais
encore suffisamment d’essence, je me rendis compte que celle des hollandais n’était
pas là. Cela ne m’avait pas marqué le soir précédent en rentrant de Pise :
j’étais encore sous le coup des révélations de Dorée et m’étais garé machinalement
sans rien remarquer. Tom l’avait-il utilisée ? Je ne l’avait pas vu de la
journée. Peut-être était-il parti se changer les idées ailleurs. Son humeur du
matin, selon Dorée, pouvait le laisser supposer.
Je m’apprêtais à rentrer au gîte lorsque l’étincelle se
produisit. Je venais de trouver ce qui me chagrinait même dans mon sommeil :
normalement, j’aurais dû rencontrer Valeria le mercredi soir. Elle m’avait
proposé par téléphone ce rendez-vous afin que nous puissions faire connaissance
et que je lui règle enfin le reliquat du loyer. Je l’avais complètement oublié.
Je m’en voulus de cette impolitesse et me préparais à lui téléphoner lorsque je
me rappelais l’heure. On ne téléphone pas aux gens en pleine nuit, même pour s’excuser
d’un rendez-vous manqué. D’ailleurs, elle n’avait pas appelé non plus. Mon
portable ne me prévenait d’aucun coup de fil en absence, pas plus que de l’envoi
d’un sms.
Si elle était passée pendant que j’étais à Pise avec Dorée,
elle aurait sans doute laissé un mot sur la porte, ou sur la table du salon,
puisqu’elle avait un double des clés, et je n’en avais pas trouvé. Par acquis
de conscience, je vérifiai que je ne l’avais pas manqué, comme l’absence de la
voiture des hollandais : il n’y avait rien, nulle part. Sans doute
aurais-je de ses nouvelles le lendemain. Dans le cas contraire, c’est moi qui l’appellerais
pour fixer un autre rendez-vous. Il n’y avait pas mort d’homme après tout. Elle
avait fort bien pu avoir un empêchement et avoir été dans l’impossibilité de me
contacter.
A l’étage au-dessus, tout était calme. Il me vint un instant
à l’idée que j’étais seul dans cette campagne toscane, qu’une catastrophe avait
eu lieu et que j’étais l’unique survivant, enfermé dans une bulle sauvegardée,
comme l’héroïne du Mur invisible, le roman de Marlen Haushofer
dont la lecture m’avait captivé quelques années auparavant. Un Robinson perdu
qui devrait survivre solitaire jusqu’à sa propre mort. Cette idée me fit
sourire : cela n’existe que dans les livres ! Et j’en lisais beaucoup
trop. Le genre d’idée que je ne me risquerais pas à avouer à mes amis lyonnais,
une fois rentré.
6 commentaires:
Eh bien moi je suis comme ton héros, je sens la catastrophe en route.
Plume : je crois que ça ne va pas tarder !
Ce n'est pas la même chose, mais cette histoire m'évoque les fois où j'attendais une personne à un endroit donné et où elle ne venait pas et qu'elle restait injoignable. C'est terrible.
Cornus : moi, ça ne m'inquiète pas, ça m'énerve.
Tiens, Le mur invisible, moi j'ai vu le film récemment, je n'avis pas réalisé que c'était basé sur un roman.
Karagar : et moi, je ne connaissais pas l'existence du film. Je te conseille de lire ce roman : il m'avait captivé à l'époque.
Enregistrer un commentaire