dimanche 1 juin 2014

Absence immobile

J'aime ces moments de somnolence où, étendu sur le lit après le repas, on sent le bras qui, sans qu'on l'ait décidé, va se ranger le long du flanc en prenant bien soin de ne pas lâcher le livre entrepris, pour garder la page, pour éviter qu'il ne tombe, et où l'on plonge soi-même dans un entre-deux, où les yeux fermés gardent encore le souvenir de la chambre, de la fenêtre en face du lit et de la cour de l'autre côté, où un homme, torse nu, fume nonchalamment sa cigarette en laissant le soleil caresser sa peau blanche des jours de l'hiver passé.

Ce moment où l'on est encore là et où l'on n'y est plus, où l'on sait que le bruit que l'on a entendu  est celui de la voisine dans sa cuisine qui finit de ranger la vaisselle du repas et où l'on se retrouve dans un pré, en plein été, au pied des Alpes, avec en bas une maison fermée dont le jardin propose un généreux hortensia aux fleurs d'un bleu encore jamais vu.

Ou bien à Sienne, sur la place du Palio, assis à la terrasse d'un café encore dans l'ombre mais que le soleil va bientôt toucher dans sa course autour des murs ocres, à regarder la tache laissée au fond de la tasse par un espresso trop vite dégusté. Où l'on sait que l'on est étendu sur son couvre-lit dont on sent la fraîcheur un peu rêche du velours noir, que Sienne est dans le livre que l'on vient d'abandonner et que seul son personnage visite la Toscane mais où la contradiction n'empêche pas d'apprécier le corsé du breuvage.

Au réveil, la montre marque une demi-heure de plus. Où a-t-on voyagé dans son errance immobile ? Quel lointain souvenir est revenu, que l'on a déjà à nouveau perdu ? Les images s'estompent, vite, comme les paysages entrevus à la vitre d'un train que même la beauté ne parvient pas à arrêter et que l'on aura oublié lorsque le grincement des roues nous avertira de la gare. La cour est revenue, inondée de soleil, et la façade de l'immeuble d'en face, si belle dans sa banalité.

3 commentaires:

Cornus a dit…

Ou comment voyager loin en sommeillant. En tout cas, tu nous fais rêver, car on peut aisément transposer.

Valérie de Haute Savoie a dit…

Waouhh j'adore ce billet !

Calyste a dit…

Cornus : merci.

Valérie :je vais te faire une confidence : moi aussi ! :-)