Le vieux monsieur n'est plus là. Celui que je voyais passer dans la rue, l'échine à angle droit, avec un grand panier à faire ses courses qu'il balançait d'avant en arrière comme pour se donner un élan dont il n'avait pas besoin tant son pas était sûr et rapide. Parfois, d'un coup, sans que l'on sache pourquoi, il s'arrêtait dans sa progression, regardait quelque part, devant, derrière, n'importe où, puis repartait en reportant ses yeux sur le sol. Je n'ai jamais compris comment il voyait arriver les passants qui venaient face à lui.
J'ai eu une seule fois l'occasion de parler avec lui: une voix claire, qui ne chevrotait pas, un peu précieuse sans doute mais n'avait-il pas été professeur de Lettres Classiques? La fréquentation assidue des Anciens peut avoir cet effet sur certains! Il semblait avoir une culture frisant l'érudition mais vivait dans ce monde-là, visiblement bien éloigné des contingences actuelles. Le soir, je le voyais souvent dans ce qui devait être sa cuisine, penché dans un coin de la pièce où se trouvait sûrement l'évier. Il frottait, frottait, frottait je n'ai jamais su quoi.
Depuis longtemps, cette fenêtre de l'entresol restait désespérément sombre et se couvrait de poussière et de coulures, comme toutes les autres de son appartement, à tel point qu'il aurait été désormais difficile d'apercevoir réellement l'intérieur des pièces. Il y a une quinzaine de jours, en passant, j'ai vu la vitre fracturée, le battant poussé, la pièce toujours plongée dans l'obscurité. Que s'est-il passé? L'appartement a-t-il été cambriolé pendant l'absence de son occupant (mais où est-il, d'ailleurs, depuis si longtemps?) ou bien a-t-il été découvert mort depuis de longs mois dans sa salle de bains ou son couloir? A le voir ainsi dans la rue, je suis bien certain qu'il ne devait pas fréquenter beaucoup de monde et qu'il menait une vie totalement solitaire. Il est possible que personne n'ait remarqué son décès.
Mais, comme me l'a dit J., je suis capable, à partir de cette vitre fracassée, d'inventer un roman avec enquête, suspects et découverte de la vérité. De ma vérité, bien sûr. Je ne saurai sans doute jamais ce qui s'est passé. Je vois simplement disparaître là encore une des figures emblématiques du quartier. J. m'avait également conseillé ironiquement de prendre une photo de ladite fenêtre. Voilà qui est fait!
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5 commentaires:
Eh bien, après le vieux jeune homme et sa mère, ça commence à bien faire, les disparitions dans ton quartier...
J'espère que toi tu vas rester ! Personne parmi les blogueurs ne pourrait enquêter sur ta disparition, ni prendre de photo de ta fenêtre vide, puisque précisément c'est par ton intermédiaire que nous sommes tenus au courant...
Essayer de reconstituer l'origine des départs des uns et des autres (et, encore plus acrobatique, les relier), ce serait une passionnante idée d'histoire-note à écrire, ça... Enfin bon, moi je dis ça je dis rien....
Il y a aussi le pharmacien et sa femme, mais eux me l'avaient annoncé. Tout de même: de nombreux départs dans le quartier.
La façon dont tu écris (comme si tu nous paralais ici) me rend souvent mélancolique. Cette solitude que tu décris, je la perçois bien, je la redoute. Cette solitude que j'ai longtemps cultivée, elle avait fini par me faire peur au point que même encore relativement jeune, je craignais de finir exactement comme ce que tu as ressenti avec ce vieux monsieur.
La solitude, c'est un peu le contraire des plantes: on la cultive jusqu'à ce qu'elle grandisse, après on l'abandonne car on est effrayé de ce que l'on a créé.
C'est tout à fait ça Calystee et c'est très bien dit. C'est ce qui m'est arrivé. A tel point que j'avais cru à un moment qu j'avais atteint un point de non retour et que je m'étais condamné pour toujours à la solitude.
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