jeudi 8 avril 2010

Arthur et moi

Quand j'étais enfant, quelqu'un (qui?) m'avait dit un jour que l'on n'était jamais à plus de deux ou trois personnes d'un autre être de nous inconnu. Par exemple la reine d'Angleterre et moi: je connais un tel qui connaît un tel qui connaît un tel qui connaît la reine d'Angleterre. Je n'ai jamais beaucoup cru à cette assertion même si elle ne m'a jamais paru totalement farfelue. C'est comme compter ses ancêtres mâles directs jusqu'à la période romaine: il n'y en pas autant que l'on se l'imagine de prime abord. Disons que pour les trois personnes, je restais un peu dubitatif.

Eh bien, ce soir, j'ai eu confirmation de la véracité de la chose. Entre Sir Arthur Conan Doyle et moi, il n'y a que deux personnes! Je ne me serais jamais cru si proche de l'illustre créateur de Sherlock Holmes. Deux personnes, autant dire rien! Non, je ne me suis pas découvert un lien de famille avec lui, bien que mon nom soit de consonance normande et que sa propre mère ait été originaire de cette région de l'ouest. Je n'ai aucun rapport, en tout cas que je sache avec ce George Edalji, injustement accusé de mutiler des chevaux et sauvé par Doyle (voir le livre de Julian Barnes, Arthur § George). Mon médecin généraliste n'a rien à voir avec l'un ou l'autre des modèles de ce cher Watson. Alors quoi? C'est à la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus compliqué. Voici donc ce que j'ai découvert en regardant tout à l'heure avec ma mère les informations régionales.

On fête cette année la naissance à Lyon du premier laboratoire considéré comme l'ancêtre de ceux de la police scientifique. Celui qui installa ce laboratoire, ainsi, semble-t-il, qu'un petit musée du crime dans les combles de l'ancien Palais de Justice de Lyon, les vingt-quatre colonnes, sur un quai de la Saône, était Edmond Locard. Une rue de Lyon (5° arrondissement) porte le nom de ce criminologue réputé qui s'est particulièrement intéressé à l'étude des empreintes digitales et fut un auteur prolixe visant à la vulgarisation (au bon sens du mot) de sa science. Pour ceux que cela intéresse, on peut se référer à l'article correspondant de Wikipedia. Aujourd'hui une cérémonie officielle a accompagné l'installation sur le Palais d'une plaque commémorant cet événement.

Vous ne voyez toujours pas le rapport avec moi et encore moins avec Doyle. Patience, nous progressons. Le célèbre auteur anglais et le non moins célèbre criminologue français se vouaient, dit-on, un grand respect mutuel et se tenaient l'un l'autre en haute estime. Lorsque Doyle fit le voyage jusqu'à Lyon pour visiter ce musée du crime, il y remarqua une photo qui l'intrigua beaucoup: celle d'un chauffeur qu'il avait employé de nombreux mois à Londres pour le conduire à travers la capitale.

- Mais c'est mon ancien chauffeur, Jules! Que fait sa photographie dans ce musée?"(Est-il besoin de préciser que les dialogues présentés ici sont, comme à la télévision, entièrement reconstitués!!!)
- Votre chauffeur? Vous devez faire erreur: il s'agit de Jules Bonnot, le chef du célèbre gang qui défraya la chronique de nombreuses années!"
Ainsi découvrirent-ils simultanément l'un le passé l'autre le devenir d'un homme qu'ils avaient tous les deux approché dans leur existence.

Cet épisode fut rappelé, et même montré grâce à des archives dont je ne connaissais pas l'existence, aux infos de ce soir. Puis le journaliste donna la parole à la fille d'Edmond Locard, encore bien vivante aujourd'hui. J'aperçus un visage qui me parut dès l'instant assez familier mais je ne parvenais pas à retrouver où j'avais pu rencontrer cette femme déjà âgée mais pleine de vie et de pétillance. Lorsque le nom s'afficha en surimpression, il n'y eut plus aucun doute: je la connaissais bel et bien, et très bien même. Il s'agissait de Denise Stagnara.

Denise et son époux Pierre Stagnara, aujourd'hui décédé, ont formé à l'éducation sexuelle des milliers d'adolescents grâce à leur association Sésame qui, sans cacher les actes, les pratiques, en en parlant même avec les mots appropriés et une franchise surprenante de la part de personnes de cet âge-là (je parle de celui où je l'ai rencontrée, elle), voulait aussi réintroduire la notion d'amour et de sentiment dans cette formation. Le collège dans lequel j'enseigne a fait souvent appel à eux pour prendre en charge cet aspect de l'éducation des jeunes et, en tant que professeur principal des cinquièmes, j'ai eu plusieurs fois affaire à cette "vieille dame indigne". Je me souviens encore de ma surprise lorsque j'entendis cette charmante mamie au chignon toujours bien tiré prononcer devant des élèves ébahis de tant de simplicité des mots aussi précis que clitoris, lèvres, vagin ou gland, phallus, et éjaculation avec un ton aussi détaché que si elle eût parlé de tartes aux pommes, de confiture de rhubarbe ou de bonbons parfumés à la violette.

La démonstration est donc faite: je connais Denise qui connut Edmond qui connut Arthur. Ce soir, c'est un peu comme si mon salon s'embrumait de la fumée de la pipe que fume Sherlock pendant que Watson le tient au courant des dernières nouvelles londoniennes. Et je le vois déjà étirer son grand corps enfoncé dans un de mes fauteuils et, en se retournant, me demander avec son flegme habituel: "Et vous, qu'en pensez-vous, Calyste?"

11 commentaires:

Olivier Autissier a dit…

Tu vas rire, ou non, car ça n'est pas sensé être drôle, mais je connais quelqu'un qui connaît la reine d'Angleterre.

christophe a dit…

Ah oui, j'ai parfois joué à "A combien de poignées de main êtes-vous" avec mes amis béarnais. Pour l'instant, le mieux pour moi, c'est être à 4 poignées de main de... Staline !

Calyste a dit…

Par contrecoup, je me sens tout fier, Olivier :-)

Et comment a fini le premier, Christophe?

JaHoVil a dit…

Alors, peut-être connais-tu Milgram ?
Il est redoutable pour les pliages spatiaux-temporels, dont tu parles, et les expériences choquantes.
Bises, J.

Calyste a dit…

Non, je ne le connaissais pas, Jahovil, mais maintenant, c'est chose faite. Bises, R.

Lancelot a dit…

C'est un jeu marrant, mais encore faut-il cerner ce que l'on entend par "connaître". Si je suis un ami proche de X qui est un ami proche du Pape, alors, oui, je ne suis "pas loin" du Pape. S'il ne s'agit que d' "avoir rencontré", alors là on peut se sentir proche d'un tas de monde. Par exemple moi un jour j'ai eu une conversation (une vraie) avec Nicoletta. Ca ne tape pas assez haut, soit. Mais elle a travaillé avec Ray Charles. Alors est-ce que je peux dire que je CONNAIS quelqu'un qui a connu Ray Charles...?

(Enfin, tout ce long commentaire sans grand intérêt pour clôturer ma "série commentatrice", classique phénomène de folie furieuse dont tu commences à avoir l'habitude... ça va ça va... je sors...)

Lancelot a dit…

Je me permets de revenir (et pas pour une blague !) : j'allais oublier !!! Je peux faire bien mieux que Ray Charles ou Nicoletta ! Je suis à une poignée de main du Dalaï Lama, par l'intermédiaire de mon beau-frère, qui est un très bon ami à lui ! Ca compte, dans l'optique du jeu.....??

Calyste a dit…

Un jeu, rien de plus, Lancelot. personnellement, j'aime beaucoup ces raisonnements absurdes.

Cornus a dit…

Alors, puisque tu as parlé de la reine d'Angleterre, je connais quelqu'un (que je connais plutôt bien) qui fait partie de sa famille, certes un peu éloignée.

piergil a dit…

Encore plus fort, j'ai un lien de parenté avec mes arrière-grands-parents! hein! faut que ce soit des gens connus...pourtant t'as bien dis "inconnu". Pis doit bien y'avoir deux trois personnes qui les ont connus ces bisaieux!!
Comment ça j'ai rien compris? Dites tout de suite que je suis un peu débile!... c'est malin, vont plus vouloir me reconnaitre les ancêtres!!
;-)

Calyste a dit…

Pas mal, le papy! Il devait avoir les yeux clairs! Ce sont vraiment tes grands-parents, Piergil?

Laisse-moi deviner, Cornus: ne s'appellerait-elle pas Camomille, ou Camélia ou quelque chose comme ça?