Il y a quelques temps, j'ai emmené mes élèves de sixième au Musée de la Civilisation gallo-romaine de Fourvière. Outre les collections permanentes, que je commence d'ailleurs à connaître quasiment par cœur, nous avons pu visiter une exposition temporaire intitulée Post Mortem installée dans les profondeurs du Musée, tout en bas de la spirale de béton qui en constitue la colonne vertébrale. Exposition consacrée, on l'aura deviné à son titre, aux cérémonies d'après la mort.
Le jour même, je n'ai pas eu beaucoup le loisir de m'attarder sur cette partie de la visite, qui ne nous concernait pas directement puisque notre axe de découverte était plutôt centré sur l'urbanisme dans l'antiquité gallo-romaine. En sortant, j'ai eu heureusement le réflexe de prendre le petit fascicule consacrée à cette exposition en me disant que je le lirais plus tard. Plus tard, ce fut hier, quand je l'ai redécouvert dans mes toilettes, sous une pile grandissante de revues et prospectus divers.
Pourtant lu en diagonale, cet opuscule m'a appris plusieurs choses. Bien sûr, je savais que les pierres tombales étaient le plus souvent ornées des deux initiales D M, l'une à gauche l'autre à droite de la stèle, pour placer celle-ci et les restes qu'elle contenait sous la protection des Dieux Manes, dieux des "âmes". Ce que je ne savais pas, c'est que cette dédicace devint la règle générale à partir du II° siècle seulement et que cette généralisation correspond avec un allongement du texte des épitaphes et une présence quasi permanente de l'ascia (outil proche par sa forme de la hache actuelle), dont on ne sait pas clairement ce que sa présence symbolise.
Voici quelques-unes de ces épitaphes, pas forcément lyonnaises (Lyon se singularisait d'ailleurs par une grande sobriété dans l'art funéraire. La seule inscription constituait l'ornement du tombeau et était donc particulièrement soignée dans sa gravure sur la pierre), pas forcément parmi les plus longues mais parmi les plus croustillantes:
Eh! oh! le voyageur!
Arrête-toi ici un tout petit instant!
Tu fais signe que non? Tu ne veux rien savoir?
C'est pourtant bien ici qu'un jour tu reviendras!
Voyageur, voyageur!
Ce que tu es, moi je le fus; ce que je suis maintenant, tu le seras aussi...
(en latin: Viator, viator!
Qod tu es, ego fui; quod nunc sum, et tu eris.)
Ce qui suffit à tout humain: mes os reposent tranquillement.
Je ne me soucie plus d'avoir faim.
Je n'ai plus mal aux pieds;
Je n'ai plus à gagner de quoi payer mon loyer;
Et j'ai trouvé en plus un logis éternel et gratuit.
(D'après Tombeaux romains. Anthologie d'épitaphes latines. Trad. de Danielle Porte. Le Promeneur, 1998)
Ou bien celle-ci, qui me plaît beaucoup:
Balnea, vina, Venus corrumpunt corpora nostra;
sed vitam faciunt balnea, vina, Venus
Les bains, les vins, les jeux amoureux corrompent nos corps;
Mais ce sont eux, les bains, les vins, les jeux amoureux qui font la vie.
(Lire le latin, 4°, Hachette éducation. Traduction personnelle)
Autre découverte dans ce fascicule: il existe, à l'époque gallo-romaine, des sépultures destinées aux chiens de compagnie. Incroyable! On en a trouvé une à Vaise, dans le 9° arrondissement de Lyon, en 1982, datée du III° siècle. Voici un extrait de l'épitaphe gravée sur celle d'une petite chienne romaine trouvée dans la capitale italienne, à la porte Pinciana:
En gaule je suis née et perle était mon nom, un nom qui fut tiré des richesses de l'onde, un nom qui allait bien à ma beauté insigne. (...) Je ne supportais pas d'être tenue en laisse et mon pelage blanc refusait du bâton l'inadmissible offense. J'étais sur les genoux de mon maître, de sa femme, et puis, lassée, j'allais sur un lit bien moelleux. (...)( D. Porte, ibidem)
Rien n'a vraiment changé!
Dernière découverte de ce soir: la belle histoire du tombeau des Deux Amants (dont une rue de Lyon porte le nom). D'après une légende populaire, deux amants, après s'être longtemps cherchés l'un l'autre à travers le monde, finirent par se rencontrer à Lyon, au bord de la Saône, et en moururent de joie. Cette sépulture commune réunit pour toujours, même à travers la mort, ceux qui s'étaient aimés pendant leur vie. Situé à l'extérieur de la ville, en bordure de voie longeant la Saône, ce tombeau sans inscription funéraire fut aussi considéré par d'autres comme un simple petit sanctuaire de carrefour. On ne saura sans doute jamais qui avait raison et qui avait tort car le monument fut détruit en 1707 pour faciliter la circulation. La rue des Deux Amants, à Lyon, est curieusement aujourd'hui assez éloignée des rives de la Saône.
mardi 6 avril 2010
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6 commentaires:
Comme j'aimerais avoir d'excellentes connaissances en latin, moi qui, dictionnaire en main, mets un quart d'heure pour déchiffrer une épitaphe. Mais je ne renonce jamais car je suis trop intéressée et curieuse. J'aime beaucoup "viator, viator ...". Quant à la hache, je sais seulement que celle posée au pied d'un arbre symbolise le jugement dernier. J'ai cherché ASCIA sur internet. J'y ai lu beaucoup d'explications symboliques. C'est passionnant.
Bonne soirée Calystee.
Il y a aussi des épitaphes chrétiennes en expo permanente si je me souviens bien...
Le chemin des deux amants partait effectivement dudit tombeau contournait l'arête de l'Observance puis coupait jusqu'aux flans de Montribloud qu'elle gravissait (et gravit toujours sous le viaduc de l'A6) enfin atteignait les pâtures et les riches maisons de campagne de Champvert où avant que de joindre l'actuelle avenue Barthélémy Buyer elle donna le nom à un quartier.
Pour les épitaphes, il y en avait aussi des fausses, des canulars inventés aux XVe et XVIe siècles ! Annius de Viterbe par exemple. A Bologne c'est l'inscription Aelia Lelia Crispis
En latin pour l'exercice :
D M
Aelia Laelia Crispis
Nec uir nec mulier nec androgyna
Nec puella nec iuuenis nec anus
Nec casta nec meretrix nec pudica
sed omnia sublata
Neque fame neque ferro neque ueneno
Sed omnibus
Nec coelo nec aquis nec terris
Sed ubique iacet
Lucius Agatho Priscius
Nec maritus nec amator nec necessarius
Neque moerens neque gaudens neque flens
Hanc nec molem nec pyramidem nec sepulchrum
Sed omnia
Scit et nescit cui posuerit
Hoc est sepulchrum intus cadaver non habens
Hoc est cadaver sepulchrum extra non habens
Sed cadaver idem est et sepulchrum sibi
Bonne traduction ! (Ps : la correction semble être sur Wikipedia)
Et bonne journée à toi, Anna. Je ne connaissais pas ce symbole du Jugement dernier.
La traduction fut bonne.... sur Wikipedia.
Oui, il y en a en expo permanente, bien sûr. Un ami vient aussi de me dire que serait également exposé au Musée un calendrier gaulois. Je me demande comment j'ai pu passer à côté depuis tant d'années et tant de visites!
J'ignorais qu'il y avait un espace pour les expositions temporaires au musée de Fourvière.
Très amusant ces épitaphes que l'on aurait effectivement pu croire modernes.
Si, tout en bas, là où de grandes portes s'ouvrent sur l'extérieur et permettent aux camionnettes de décharger leur précieux chargement.
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