lundi 13 janvier 2020

Marius et Julie

(C'est presque le titre d'un film de Robert Guédiguian !)

Marius et Julie étaient déjà très âgés lorsque je les ai connus, du moins me paraissaient-ils tels avec mes yeux d'enfant. En tout cas, ils ne travaillaient plus et j'ignore quel avait été le métier de mon grand-oncle. Julie, elle, la sœur de ma grand-mère maternelle, avait élevé ses deux fils, deux garçons morts aussi aujourd'hui.

Autant Marius était jovial et rondouillard, autant Julie était sèche et à cheval sur les principes. Elle ne voulait pas, par exemple, que mon frère monte sur le prunier à reines-claudes et en perdait son dentier à vitupérer contre lui pendant que lui se goinfrait de fruits bien mûrs et sucrés en lui faisant des grimaces de sa position élevée. Marius, pendant ce temps, lorsqu'ils venaient déjeuner le dimanche à la maison, passait des heures, tranquille et patient, à démonter puis remonter le mécanisme de n'importe quelle montre ou horloge qui lui tombait sous la main. Nous les ramenions le soir chez eux, en voiture avec mon père, et je pourrais encore aujourd'hui refaire l'itinéraire les yeux fermés.

Comme, étant calme et "bien élevé", j'avais l'heur de plaire à ma grande-tante, j'effectuais parfois de courts séjours chez eux. Ils habitaient Yzieux, près de l'église, dans une rue que barrait (et que barre toujours) la voix ferrée en contrebas. La nuit, dans les premiers jours, j'étais effrayé par le vacarme du train tout près. Parfois, pour rejoindre le centre, nous empruntions le petit chemin qui longeait les rails et l'arrivée des locomotives à moteur me tétanisait : je n'avais jamais vu de monstres pareils.

Une fois, Marius m'avait emmené avec lui à la pêche dans le Pilat, activité qui lui convenait parfaitement par son goût du calme (et peut-être pour échapper momentanément à sa femme ?). Le voir tripoter des asticots vivants m'avait écœuré. C'est lui qui avait embroché le mien sur l'hameçon de ma canne. Nous avons passé des heures au bord de la rivière : j'avais aimé ce moment, tout en priant pour qu'aucun poisson ne vienne mordre. Déjà, je ne supportais pas de voir tuer un animal. Mais rien à craindre : Marius relâchait ses prises.

Il devait lui aussi beaucoup aimer les bêtes. Lorsqu'il trouvait quelque oisillon tombé du nid, il l'installait dans sa cuisine, bien au chaud dans une boîte à chaussures rembourrée de coton et, à heure régulière, lui donnait la becquée  avec une sorte de bouillie qu'il avait longuement prémâchée et ramollie et qu'il proposait à l'oisillon au bout d'une allumette. Quand le volatile avait suffisamment de forces, il ouvrait la fenêtre et le laissait prendre son envol.

Leur chambre était encombrée d'une grand armoire ancienne où, en plus du linge, couvertures et édredons, Julie rangeait la pâte de coins qu'elle faisait chaque année. Elle la coupait en petits rectangles et les enfermait dans une boîte en fer. Mis nous ne mangions jamais celle de l'année. Elle avait des réserves et nous servait toujours celle de l'année précédente, voire des années précédentes, si je fais confiance à mes souvenirs qui me la présente dure et difficile à mâcher.

Les wc étaient sur le palier et, lorsque nous étions tous invités à un repas, ma mère nous faisait, avant de partir, un long sermon sur la façon de se tenir. Il fallait surtout éviter à tout prix de demander à aller aux toilettes : "Vous n'avez qu'à prendre vos précautions avant !". Nous ne nous étions pas passé le mot avec mes frère et sœurs mais, chaque fois, avec un malin plaisir, nous demandions à tour de rôle à pouvoir y faire un petit tour., moins par besoin réel que pour voir de vraies toilettes (ils habitaient une villa dont ils occupaient le premier étage), nous qui habitions en pleine campagne et devions sortir de la maison pour aller faire nos besoins dans un édicule à planches à l'extérieur. Je vois encore la tête de ma mère, qui, elle aussi, devait bien se tenir devant ma grande-tante, et le regard assassin qu'elle nous lançait lorsque nous osions demander.

Hier, j'ai retrouvé leur tombe. De deux ans la cadette de ma grand-mère, Julie lui a survécu pendant dix-huit ans. Marius, lui, était déjà mort, goûtant un calme éternel, et plus personne ne s'est occupé à nourrir les oiseaux ni à relâcher les poissons.

5 commentaires:

renepaulhenry a dit…

Oh ! Pâte de coings ...

Anonyme a dit…

J'aime ces portraits, assaisonnés d'une louche de nostalgie...

Bleck

Calyste a dit…

RPH : merci.

Bleck : ça tombe bien, j'aime aussi beaucoup les écrire (et me souvenir).

Cornus a dit…

Ah, Marius était donc un adepte bien avant l'heure de la pêche "no kill". Tu ne dis pas ce que vous pêchiez ? Truites, vairons (goujons...) en rivières ou autres choses en plans d'eau ?

Calyste a dit…

Cornus : il aurait fait une drôle de tête, Marius, s'il avait entendu "no kill" ! Je n'ai aucun souvenir de ce que nous pêchions, probablement des truites de rivière.