lundi 2 mai 2016

Un sacré bonhomme

On se lève. Tiens, il fait beau ! On ouvre sa boîte mails. Tiens, un message de la secrétaire de direction de mon ancien groupe scolaire... "Une triste nouvelle". Formule habituelle pour annoncer une mort dans nos rangs. Qui, cette fois-ci ? On repasse vite fait dans sa tête les visages de tous ceux susceptibles d'avoir baisser le rideau. Et puis l'on clique et il fait moins beau tout à coup : un homme qu'on aimait beaucoup, vraiment beaucoup, mon ancien directeur adjoint lorsque j'enseignais au LP, un jésuite formidable.

Il formait avec la directrice un duo épatant : elle cachant son grand cœur sous des allures de char d'assaut, lui faisait oublier sa rigueur et son exigence sous des dehors suaves. Il avait son bureau derrière le secrétariat, un bureau minuscule où s'entassait à chaque récréation une bonne vingtaine d'élèves, et cela pas seulement parce qu'on avait le droit d'y fumer. Il était adulé, le vieux jésuite, de ces sauvageons à qui, mine de rien, il apprenait à ré-aimer l'école, à se ré-aimer eux-mêmes, à reprendre confiance en eux autrement qu'en accumulant connerie sur connerie.

Petit, la voix volontairement douce, au point qu'on devait parfois tendre l'oreille quand il vous parlait, il n'avait pas besoin de l'élever pour être respecter et obéi. Humain et juste dans les conseils de classe, il n'hésitait pourtant pas à sévir lorsque la situation l'imposait mais expliquait toujours le pourquoi de la punition que, du coup, le puni acceptait comme méritée. Je crois que c'est lui qui m'a fait aimer les élèves, même les pires, qui m'a appris l'humanité, ou plutôt qui m'a révélé celle que je possédais en moi.

Je suis resté quatre ans au LP et encore aujourd'hui, j'ai parfois la nostalgie de ces années, même si je rentrais certains soirs complètement exténué et me demandant si j'étais vraiment fait pour ce métier. Après être passé au collège, je l'ai souvent croisé dans mon quartier : la jésuitière était tout près, et nous faisions quelquefois nos courses ensemble au supermarché du coin. Il n'était pas très expansif (ses origines savoyardes ?) mais on se sentait bien à ses côtés. Je l'ai vu pour la dernière fois il y a à peu près un an : il avait du mal à entendre ce qu'on lui disait malgré ses prothèses auditives, et se  rendait chez son médecin. Il avait vieilli mais il s'en dégageait toujours la même aura de calme et de sagesse.

Il m'a aussi beaucoup marqué par une expérience personnelle que je ne lui ai jamais confiée. Une nuit, j'ai rêvé à lui : pour une raison inconnue, j'étais poursuivi en ville par des gens qui voulaient m'arrêter suite à un larcin. Je m'étais engouffré dans un couloir d'immeuble, croyant y trouver une cachette, mais lui était là, au milieu du couloir, me barrant le passage. Et je l'avais tué pour pouvoir m'enfuir. C'est la seule fois de ma vie où j'ai tué quelqu'un en rêve (rassurez-vous, ça ne m'est jamais arrivé non plus dans la vraie vie). Je ne vous raconte pas la gêne, le lendemain matin, quand je l'ai croisé dans le hall du LP !!!

Alors demain, j'irai à ses obsèques.

2 commentaires:

Cornus a dit…

Par ce rêve, tu avais peut-être "tué le père", ce qu'il faut toujours faire. Je blague, mais quand même.

Calyste a dit…

Cornus : possible, mais ça m'étonnerait.