mercredi 30 juillet 2014

Réponse

En réponse à la question de Nicolas :

J'ai commencé par détester écrire. Le moment de rédiger une rédaction dans les petites classes du collège était pour moi un véritable calvaire. Comment raconter mes vacances alors que je ne partais pas de la maison familiale ? Ma mère régulièrement devait mettre la main à la pâte et me souffler quelques idées que je transcrivais de la manière la plus sèche possible : je n'aimais pas m'étendre.

Ensuite la passion me prit, probablement autour de la quatrième. Je n'avais plus besoin d'aide et me débrouillais plutôt bien. Je me souviens encore de la fierté que je ressentis lorsque j'obtins la meilleure note pour un commentaire de texte où j'avais interprété les silences d'Andromaque dans la pièce de Racine.

Je me mis bientôt à écrire pour moi. D'abord quelques poèmes assez mièvres que je recopiais, lorsqu'ils me convenaient, sur un cahier, de ma plus belle écriture. Je dois encore posséder un de ces cahiers dans mes archives. Des camarades et un surveillant (qui m'avait surpris en train d'écrire pendant l'étude du soir) les avaient lus et les trouvaient "prometteurs".

Puis, sans transition, je passai au journal (après avoir lu Anne Franck) et au roman (cette fois-ci après la lecture des Souffrances du jeune Werther, de Goethe). En pleine période romantique, je croyais souffrir autant que le jeune allemand. Parallèlement, je rédigeais encore des poèmes, épiques bien sûr puisque j'étais tombé sous le charme de Victor Hugo.

Comme, avec l'adolescence, était arrivée une phase de pudeur maladive, j'écrivais sur des feuilles de papier très fines, d'abord parce que je trouvais cela du "dernier chic" et ensuite, et surtout, pour pouvoir plus facilement cacher mes écrits à mes parents et à mon frère, qui partageait la même chambre que moi et ne se gênait pas pour fouiller dans mes affaires et exercer un certain chantage en fonction de ce qu'il découvrait. Moi, entre temps, j'avais découvert mon homosexualité et me confiais abondamment dans mes écrits.

Inutile de dire que tout cela ne valait pas tripette. A l'université, je cessais totalement d'écrire. Mes soirées, depuis mon arrivée à Lyon, je les passais bien différemment.... A vingt ans, on a autre chose à faire que de rester seul. Cette abstinence (en écriture) dura longtemps : je n'avais pas perdu le goût de la lecture mais je m'étais rendu compte que, d'une part, j'étais toujours très influencé par ce que je lisais, et d'autre part, ce qui est lié, je rédigeais toujours "à la manière de". Ce n'était donc pas moi qui écrivais, qui apparaissais au fil des pages, et je n'y trouvais plus aucun équilibre. Le blocage semblait définitif.

Et puis, il y eut l'ordinateur et, après la mort de Pierre, l'ouverture de mon blog. J'étais très seul à ce moment-là et éprouvais la nécessité vitale de confier ce que je vivais, même, surtout, à des inconnus. Le blocage disparut instantanément. J'arrivais à être moi, à écrire comme je l'entendais et non pas comme on me l'avait appris, d'une manière trop scolaire, trop académique.

Depuis bientôt sept ans, je n'ai pas cessé. La "nécessité vitale" a disparu depuis longtemps; bien sûr, en tout cas sous la forme qu'elle avait à l'époque. Mais j'aime toujours mes rendez-vous du soir avec mon écran, pour écrire et pour lire les autres, dont je connais maintenant certains.

Pourquoi ce changement dans mes rapports à l'écriture ? Je crois sincèrement que l'ordinateur y est pour beaucoup : instrument moderne, il m'a libéré de cet académisme qui m'inhibait. La brièveté possible dans les billets me convient parfaitement (et là, je me retrouve comme dans mon enfance, à être plus à l'aise avec des textes courts). Le fait d'écrire presque chaque jour, me rappelle l'époque où je tenais un journal. Je crois aussi que le fait d'avoir des lecteurs (et des commentaires) m'encourage à poursuivre. Moi qui, il y a des décennies, me prenais pour un romantique, je me suis depuis longtemps aperçu que je ne suis décidément pas fait pour la solitude.

8 commentaires:

plumequivole a dit…

Ah ça m'a passionnée de lire cette note ! Tout paraît si simple. J'ai souvent eu à répondre à des questions de lecteurs ou de journalistes sur mon rapport à l'écriture (depuis quand, pourquoi, comment, pour qui, etc...) et je ne sais jamais trop quoi répondre parce que je suis censée le faire "vite et simple", alors il m'arrive de faire un peu de fiction et je me trouve alors assez ridicule. Et piégée bien sûr et limite malhonnête.
Peut-être que grâce à toi j'arriverai à décrire tout ça proprement, au moins sur le blog, qui sait ?

Cornus a dit…

Eh bien moi, c'est très simple, j'ai commencé à écrire à l'université pour rédiger des rapports et autres articles techniques ou scientifiques et ce n'est ensuite qu'à l'ouverture du blog que j'ai commencé à écrire des choses personnelles, uniquement pour faire partager et de préférence pas tout à fait à des inconnus. En aucun cas j'aurais pu écrire un journal intime. Bien sûr, mon écriture est strictement "fonctionnelle" et pas littéraire, j'en suis incapable.

renepaulhenry a dit…

Pour apporter mon grain de sel, en résumé je n'aime pas lire mais j'aime bien écrire. Ceci dit j'ai essayé d'écrire un roman, mais résultat pas terrible. J'essaie de le recommencer dix ans après l'avoir mis en sommeil. Hier j'ai réussi à ajouter deux lignes à la troisième page, gros effort....
Quand je change de train à Lyon, j'ai un battement d'une heure. On pourrait peut-être en profiter pour se dire bonjour...

Nicolas a dit…

Je suis bien content de ce billet fleuve ! Je ne pensais qu'une simple question pouvait t'inspirer à ce point ! Tu dis beaucoup de choses justes, d'autres qui me rappellent moi : je m'y retrouve d'autant que c'est le blog (Querelle à l'époque) qui m'a remis dans l'écriture après des années d'errance, pour les mêmes raisons que toi.

Tu évoques la question du rôle du lire dans l'écriture, pour ma part mon plus grand regret est de ne pas lire plus : j'adore ça mais comme tu le dis si bien j'ai tellement peur qu'un autre s'immisce dans ce que j'écris (je ne sais pas si c'est le cas à présent mais ça l'était quand j'étais ado ou en fac), déjà que nous sommes inspirés par quantité de choses qui nous dépassent (le monde tout autour, ce qu'on voit, ce qu'on entend, ce qu'on a pu, niveaux fictions, regarder, lire...). Je profite donc des moments où je n'écris pas pour lire et dessiner. J'aimerais trouver un jour un équilibre tel que le tien. Peut-être pour cela dois-je essayer !

Calyste a dit…

Plume : ai-je fait "vite et simple" ? D'ailleurs peut-on le faire sans tomber dans le cliché ?

Cornus : et pourtant, lorsque je t'ai découvert, j'étais bien un inconnu pour toi...

RPH : la fin risque d'être longue à venir ! :-)
Pour le bonjour à Lyon, préviens-moi lorsque tu dois passer. Ce sera avec plaisir.

Nicolas : oui, entre lecture et écriture, je pense maintenant avoir atteint un certain équilibre, même si, parfois, des idées prises ailleurs, à d'autres, m'inspirent, moi.

Cornus a dit…

C'est vrai, plusieurs inconnus, mais cela n'a pas commencé avec des inconnus. Et le plus dur était de se lancer.

karagar a dit…


Voila bien un post qui tranche...par sa longueur mais son style est bien celui auquel tu nous as habitué et que tu y évoques précisément. Plutôt concis et sobre. C'était intéressant à lire bien que je n'aie point retrouvé la question ! J'ai assez tôt aimé écrire (rarement à l'école) bien que je le fisse assez peu, mais ce peu a toujours été de la fiction, du fantastique, je n'ai jamais été porté à écrire sur moi et paradoxe, mon premier livre était autobiographique et ensuite je me suis mis au blog (qui était très bavard autrefois), la vie virevolte...

Calyste a dit…

karagar : Ah! mon cher karagar, pour ce " bien que je le fisse", souffrez qu'on vous embrasse !