Impossible d'écouter France Inter depuis quelques temps sans y entendre au moins une fois par jour employer le mot "oxymore". Sans bien sûr que personne ne l'explique. Il semble qu'à Paris, en tout cas chez les journalistes radiophoniques, ce mot soit aussi couramment utilisé que salade verte ou programmes télé chez le vulgum pecus (pardon: en latin, cela veut dire le menu fretin!) de province. Il a, semble-t-il, pris la place d'autres mots un temps à la mode et qui ont bien vide sombré dans un oubli presque total, comme le si délicieux "obsolète" d'il y a quelques années.
Dans ces cas-là, mon sang de prof ne fait qu'un tour et je me crois immédiatement obligé d'expliquer le sens du mot inconnu (je vous ferai grâce de son étymologie!). Pour être clair, prenons-en l'exemple le plus connu, tiré de cette pièce abominablement ennuyeuse qu'a toujours été pour moi Le Cid de Corneille.
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin, avec le flux, nous fit voir trente voiles.
L'onde s'enfle dessous et, d'un commun effort,
Les Mores et la mer montent jusques au port.
L'association des termes obscure et clarté est un oxymore, c'est à dire l'alliance de deux mots de sens contradictoires. Cette figure de style qui, appliquée à un humain, signifie "fin sous une apparence de niaiserie", permet aux contraires de ne plus être totalement contradictoires et introduit une ambivalence souvent poétique. Ici, par exemple, on ne peut s'empêcher, en lisant ces vers, d'imaginer un tableau en clair-obscur, autre expression, de peinture celle-là, en oxymore.
Tout cela m'a remis en tête un livre qu'il m'avait fallu acheter quand j'étais étudiant à l'Université des Lettres de Lyon et dont on nous avait fait apprendre par cœur ou presque la plus grosse partie. Il s'agit des Figures du Discours, de Pierre Fontanier (Science de l'Homme, Flammarion, 1968). Je l'ai recherché et retrouvé immédiatement: il était tout près, devant mon nez depuis des années, et je m'étonne que mon regard l'ait pendant si longtemps aussi soigneusement évité ou néantisé. Sans doute un réflexe naturel de protection après les efforts fournis à mémoriser des centaines de noms tous aussi barbares les uns que les autres. Des exemples: savez-vous ce que c'est que le chiasme, le zeugme et la synecdoque (j'ai commencé par les plus simples!), la paronomase, l'antanaclase, l'énallage, le pléonasme (celui-là, il m'a échappé), l'hypotypose, l'éthopée, l'anacoluthe, l'abruption, la polyptote, l'enthymémisme, la prosopographie, et comme dirait Hugo (Ruy Blas), j'en passe et des meilleurs?
Rassurez-vous, moi aussi je suis dans l'ignorance: j'ai tout oublié depuis longtemps et ce n'est qu'avec l'aide de la table des matières de l'ouvrage que j'ai pu citer toutes ces figures de style dont, pour la plupart, je ne sais plus ce qu'elles recouvrent. De beaux noms tout de même, à faire découvrir à ceux qui sont en quête de prénoms originaux pour leurs enfants, quitte à leur gâcher la vie entière avec un tel boulet: Mademoiselle Antanaclase Durand, au tableau, s'il vous plait! On demande Monsieur Hypotypose Reverchon au téléphone, je répète, on demande...".
Mas pourquoi ne pas nous-mêmes lancer la mode prochaine. Allez, tiens, laquelle de ces figures choisissons-nous pour la sortir (momentanément) de la poussière qui l'environne et la faire un instant briller de tous ses feux? Lequel de ces mots sera-t-il de bon ton, dans les mois qui viennent, de placer sans en avoir l'air à tout bout de conversation, comme si l'on était né avec et que l'on ne puisse décidément s'en passer plus de dix minutes?
Je vous en propose une,dont le nom peut rebuter au premier abord, mais qui, à la connaître, se révèle fort simple: le zeugme. Définition officielle de Fontanier: Le zeugme consiste à supprimer dans une partie du discours, proposition ou complément de proposition, des mots exprimés dans une autre partie, et à rendre par conséquent la première de ces parties dépendante de la seconde, tant pour la plénitude du sens que pour la plénitude même de l'expression. Vous ne comprenez pas? Encore un petit exemple, tiré du Premier Discours philosophique de Voltaire: Que Crésus est heureux! Il a tout, et moi rien.. (c'est à dire, sans zeugme: et moi, je n'ai rien.)
Allez, au boulot, pourvoyeurs de fashion victimes du vocabulaire! A vos zeugmes, et que ça saute! Par la même occasion, je vous lance un petit défit: retrouver au moins deux autres figures du discours cachées dans les vers de Corneille cités en début de billet.
PS qui n'a rien à voir: j'ai retrouvé dans ce livre un vieux carton qui me servait de marque-page: il s'agit d'une carte de fidélité à un club privé: Le New Jazz Club, sis au 12 rue du Boeuf, 69 Lyon- St Jean (comme imprimé sur la carte) et qui, sans doute, ne doit plus exister aujourd'hui. Seule une des cases est tamponnée, à la date du 9 février 1972. J'avais dix-neuf ans. Je n'ai aucun souvenir de ce club ni de qui m'y a conduit ni du cadre ni de la musique. La même année, au mois d'Octobre, je rencontrai Pierre. Ceci explique peut-être cela.
PS, encore: j'oubliais de dire que France Inter, parfois, m'agace!
mardi 9 mars 2010
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14 commentaires:
Ha ha ha ! Moi aussi je l'ai le Fontanier, empoussiéré sur une étagère. !!!!!! Quelle horreur ! Non seulement je suis prête à parier qu'il a inventé la moitié de ces termes juste pour emm...les étudiants, mais encore ses définitions sont horriblement incompréhensibles !
j'ai rigolé comme une neuneu avec tes histoires de prénom.
Tiens, tant qu'à être bête : M et Mme Turbe, qui habitent à Sion, ont une fille, ou peut-être un fils. Comment se prénomme cet heureux bambin ?
Je saisis bien la fin, si j'ose dire, mais le prénom m'échappe: Thomas (prononcé à l'anglaise)?
Mais non voyons, Paronomase !
C'est vrai que j'entends parler souvent d'oxymore depuis quelques temps et qu'il y a quelques têtes à claques sur France Inter (mais je crains qu'il n'y en ait pas moins ailleurs). Dès qu'un journaliste a trouvé un nouveau mot ou un semblant de nouveau concept à la mode, il en use et en abuse.
Le Cid de Corneille, je ne crois pas qu'il s'agisse de ma "parenté" avec l'auteur, mais j'aime bien. C'est plutôt parce que c'est la première pièce en vers que j'ai étudiée à l'école et que certains passages se sont bien imprimés en moi.
Même si je suis nul, tel Monsieur Jourdain, je crois bien m'adonner malgré moi à certaines figures de style. C'est bien de leur donner un nom, un peu comme l'étiquette d'un nom scientifique qu'on colle à une espèce de plante. Il faut bien savoir de quoi on parle, sauf que là, semble-t-il, il ne s'agit pas d'un vocabulaire international comme en nomenclature botanique.
Sinon, pour faire mon affreux à mon tour, je pose ma question. Quel est ce grand poisson amphihalin anadrome potamotoque qui possède un homing strict ?
Cornus > Mais la lamproie, bien sûr ! C'est limpide, non ?
Attention, Cornus! J'ai cru lire Potomac: toc ! Quel coup, avant de relire!
J'en resterais au contrepet. Mais je ne crois pas que ce soit dans ce bouquin.
... qui était, dis-tu, devant ton nez ? Pas étonnant que tu ne le voyais pas.
Gros bisous. J.
KarregWenn> Bien joué, la Lamproie marine répond presque à cette définition, sauf qu'il ne s'agit pas exactement d'un poisson même si je t'accorde que les poissons n'existent pas.
Calystee> J'avoue ne pas avoir fait exprès, mais j'aurais dû y penser.
J'écoute également France Inter : il y a quelque temps le terme incontournable (comme ils disent) était "éponyme", employé mal à propos d'ailleurs... Oxymore l'a donc détrôné
Et la litote !!! Tu as oublié la petite dernière de la famille, la "litote" ! Une des seules dont j'étais parvenu à me souvenir du sens, grâce à ce vers tiré du Cid, justement :
"Va, je ne te hais point..."
Moi, c'est FIP qui commence à me crever doucement les tympans, pas encore pour cause d'oxymore, mais de surabondance de chansons à connotation politique, chantées, qui plus est, soit avec le nez, soit avec la voix niaise des auteuses-compositeuses et auteurs compositeurs qui ont une conscience politique et pas le moindre organe.
L'ellipse restant un mot simple, en voici une que j'apprécie en espérant n'être point trop pédante :
"Je t'aimais inconstant, qu'aurais-je fait fidèle ?" (Racine - Andromaque IV, 5
Quant aux noms barbares, j'imagine très bien le capitaine Haddock les éructer en guise d'insultes !
Le capitaine Haddock en avait une à son répertoire d'insultes: catachrèse!
Je vois que l'on réagit au langage. Tout n'est donc pas perdu! Contrepet, litote, ellipse. Des plaisirs démodés?
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