Depuis le début de cette année 2010, je peux me débarrasser de tout ce qui concerne la succession de Pierre, personne ne pouvant plus désormais revenir dessus. Alors je remplis des sacs de papiers déchirés qui finiront à la décharge: relevés de banque, remboursements de la Sécurité Sociale, calculs de la retraite, courriers divers adressés à d'aussi divers organismes. Un monde d'administration et de tracasseries.
J'ai aussi jeté tout ce que j'avais gardé du jour des obsèques, ou presque: registre des condoléances, lettres déposées à l'église ou envoyées, où l'on m'assurait de toute la sympathie et de toute la commisération du monde, en jurant sur ce qu'il y a de plus sacré que l'on garderait le contact, que la mort de Pierre n'allait rien changer. La mort de Pierre a tout changé, ma vie la première, de fond en combles et la plupart de ces braves gens n'ont plus jamais donné de nouvelles, même s'ils étaient proches de nous dans la vie antérieure. Je n'en suis même plus amer.
Souvent, au milieu des documents administratifs, je trouve une note manuscrite. Pierre avait l'habitude de tout écrire, il en était presque obsessionnel. Parfois, il s'agit de notes de lectures ou de commentaires sur de la musique, du Bach en particulier, parfois de véritables pamphlets écrits sur le mode de la colère et restés lettre morte après avoir joué leur rôle de soupape, parfois et le plus souvent, il y décrit ses souffrances pendant la maladie, souffrances aussi bien physiques que psychologiques. J'essaie de jeter sans relire mais je ne peux empêcher mes yeux de voir certains mots, écrits en majuscules, ou soulignés, ou encore plus tremblés que les autres. J'y ai vu "ennui" et souvent, très souvent, "anxiété".
La semaine dernière, le tri de ces archives ne m'avait pas perturbé. Cette semaine, il en est autrement et j'en ressors ce soir avec l'estomac noué. Ce n'est pas tant la destruction de ces papiers qui me perturbe que les questions que je ne peux m'empêcher de me poser. Je suis sûr, absolument sûr d'avoir tout fait ce qu'il était humainement possible de faire pour lui pendant les longs mois qu'a duré son agonie. Là dessus, il n'y a place pour aucune hésitation dans mon esprit. Mais je suis parfois taraudé par un doute que je ne parviens pas à éliminer, ni en y répondant par une certitude, ni en le repoussant loin de mes pensées. Je me poserai sans doute la question jusqu'à la fin de mes jours. Question stupide mais question essentielle pour moi: Ai-je vraiment compris qui était Pierre?
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5 commentaires:
Oh que cette note m'angoisse, l'allusion à la mort, et la dernière phrase qui tombe comme un couperet et résonne en moi comme une agravation à l'idée de la mort.
Compris, pas compris, oui comme je comprends l'angoisse de la question, condamnée à rester sans réponse, mais aimé, en voilà une certitude, non ? Non des moindres, et bien belle, alors...
Mes deux amis premiers commentateurs ont dit exactement ce que j'ai ressenti, alors je n'ajoute rien. Si, je crois à la fidélité, en amour comme en amitié.
C'est une question terrible, que tout le monde se pose, s'est posé, se posera, vis-à-vis de l'être qu'on aime qui qui partage sa vie. Et la réponse est non moins dure, je pense : on ne comprend jamais quelqu'un totalement et pleinement, quel que soit la force du sentiment qu'on lui porte, qu'il nous porte. Il reste toujours un petit recoin qui relève de l'intimité individuelle la plus pure, et qui n'est pas accessible à l'autre.
Mais peu importe : si tu n'as pas compris Pierre totalement, tu l'as aimé. Et l'amour, ça efface toutes les interrogations, tous les doutes. Ton coeur, lui, savait déjà tout, sans qu'il ne soit nécessare de passer par ton cerveau.
Et son coeur à lui savait aussi, bien sûr.
Je t'embrasse.
Il m'est difficile de dire quoi que ce soit ici.
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