jeudi 1 juillet 2021

Amours transalpines (5)

En 2015, deux ans après mon départ de ce couvent où, pendant trente-trois ans, j'avais enseigné les lettres et qui, de par sa position, me rappelait parfois les hauteurs du Janicule avec la ville à ses pieds, où, comme à Rome, on ne comptait plus les institutions religieuses, je repris du service. On m'appela une dernière fois pour accompagner un groupe d'adolescents vers ces lieux que l'on me savait si familiers. A l'aéroport, on ne sut pas qu'un copilote d'une compagnie allemande avait choisi l'avion pour se suicider, provoquant la mort de tous les passagers: l'avion s'était écrasé dans les Alpes et la directrice du collège nous avait tu cette information, ce qui, à bien y penser, fut sans doute la seule chose intelligente qu'elle fit à ce poste.

A Rome, c'est le ciel qui nous tomba sur la tête. Une pluie torrentielle s'abattit sur la région, une pluie comme je n'en ai vu que cette fois-là, rendant encore plus laide la périphérie encombrée de voies rapides et d'autoroutes s’enlaçant à l'envi d'où l'on aperçoit parfois un tronçon d'aqueduc antique ou quelques moutons qui ne le semblent guère moins.  Nous devions, ce jour-là, visiter les ruines des forums, le Colisée et le Palatin. Le bus nous avait laissés un peu plus haut, sur le viale qui conduit à San-Pietro-in-Vincoli sur l'Esquilin. La route était transformée en rivière glissante et ce fut pire encore dans les ruines. Le forum républicain était sur le point de se transformer en marais et nous pataugions sans joie sur la Via Sacra, tentant de photographier entre les gouttes l'Arc de Titus, le temple d'Antonin et Faustine ou la tribune des Rostres. 

Le pique-nique se passa sous les arcades des musées Capitolins sans que personne, malgré l'interdiction,  ne vînt jamais nous en déloger. Après visite des salles (en détail pour les Antiques, au pas de course devant nombre de tableaux sans intérêt), il pleuvait toujours. Était-il raisonnable d'imposer à des élèves dégoulinants la descente jusqu'au Forum Boarium, que j'aime tant pourtant et dont quelques-uns connaissaient de réputation touristique l'église Santa-Maria-in-Cosmedin et sa Bocca della verita ? Je renonçai au Vélabre, au marché aux bœufs et à ses temples et proposai tout autre chose : aller s'abriter dans la basilique de San Clemente al Laterano, sans préciser que l'église était plus éloignée que le forum. Au moins, là-bas, nous serions au sec. 

Pendant que les élèves tentaient de se réchauffer assis sur les chaises de l'église, je les abandonnai là pour revoir le cloître où, des années, des dizaines d'années plus tôt, j'avais, avec Pierre, eu le plaisir et la surprise de rencontrer nos voisins de Lyon. Ce souvenir est toujours lié à l'eau (bien que, en ce jour ancien, il ne plût pas), il me vient souvent à l'esprit lorsque je lave mon assiette du déjeuner. Je me suis longtemps demandé pourquoi. Au sous-sol, on aurait dit que l'ancien lac souterrain voulait se reformer tant la source voisine du Mithraeum dégorgeait. Les élèves semblaient heureux. Était-ce d'être enfin à l'abri ou de découvrir, en tranches superposées, un peu de l'histoire de Rome ? 

Le lendemain, après la visite, le matin, de Palestrina que je n'avais pas prévue au programme mais que l'on nous conseilla et qui me ravit, parce que j'y vis enfin, palpable, au Palazzo Colonna, la mosaïque du Nil tant représentée dans les livres de latin, nous partions pour Pompéi sous une chaleur accablante. Devant les moulages du jardin des fugitifs, je me débarrassai peu à peu de toutes mes pelures d'oignon, alors que notre guide (que je revis lui aussi avec plaisir bien qu'il ne semble pas me reconnaître, un de ces rares italiens du sud  au maintien aristocratique qui m'évoquait chaque fois Vittorio De Sica) faisait  mine de ne jamais transpirer dans son costume sur mesure. Pourtant, il avait vieilli, lui aussi, le bellâtre d'autrefois et, quand le temps de la visite payée fut écoulé, il nous abandonna au beau milieu du forum. Seul, je conduisis la troupe jusqu'à la Villa des Mystères à laquelle, depuis peu, on pouvait accéder par l'intérieur du site, en empruntant une ancienne voie bordée de tombeaux.

5 commentaires:

Jérôme a dit…

Nous avons été ébahis par Pompei, sa richesse, sa beauté, tous ses points d'intérêts.

Calyste a dit…

Jérôme : il faut aussi voir la Villa de Poppée, à Oplontis (Torre Annunziata)

Cornus a dit…

2015 me semble déjà si loin...
Non, la directrice fit une seconde chose intelligente : te permettre d'aller là-bas, à moins que cela ne releva pas de sa responsabilité ?
Au Palatin, tu ne parlas pas latin ?

Calyste a dit…

Cornus : j'ai accepté, sans même me poser la question, d'accompagner ce voyage dont, avec une amie, j'étais l'initiateur des années avant. Et puis je crois qu'elle avait confiance en moi pour ce qui est du sérieux et des responsabilités.
Ta dernière phrase, c'est carambar ou papillotes ? :-)

Cornus a dit…

Calyste> Ni l'un ni l'autre, mais cela aurait mérité ! 😃