dimanche 11 juillet 2021

Amours transalpines (11)

Les nuits du Trastevere, quartier longtemps ignoré de moi , coincé entre Tibre et Janicule, comme le Lyon Renaissance entre Saône et Fourvière. Exclu des voyages des latinistes parce que sans ruines grandioses, quartier pauvre et populaire autrefois, branché aujourd'hui, comme l'est le Lyon Renaissance. Mais, tout proches des circuits habituels, on y sent encore palpiter son âme. 

La nuit tombée, les chats y  frôlent les murs décatis, heureux d'un reste de poisson ou d'une souris imprudente. Ils disparaissent à l'arrondi d'une rue, étroite comme les spirales du labyrinthe Crètois, où ne dorment que quelques Fiat sans âge ou d'ancestrales Vespa. Les goélands y  viennent, du Tibre proche, déchiqueter les sacs d'ordures déposés sur le bord du trottoir. Ils ne vous craignent plus depuis qu'ils ont envahi la Ville, éternels comme elle. 

Plus haut, la sombre silhouette de l'ambassade d'Espagne écrase la via dei Panieri restée moyenâgeuse. Devant moi, j'aperçois le dôme de Santa Maria della Scala et les terrasses bourgeoises où, parfois, se donnent la nuit des soirées de Dolce Vita. Arrive jusque là la musique assourdie des saltimbanques de la place Santa Maria in Trastevere dont les glaciers ne semblent jamais fermer. Seul sur la terrasse, j'entends vivre la Ville, celle où l'on étend encore le linge aux fenêtres, à côté des pots de basilic, celle où, à l'ccasion, l'on parle encore le romanesco avec la rugosité d'un vieil auvergnat. 

La glycine embaume au coin d'un hangar délabré. Là, on tire les cartes, en robe de gitane : la petite accouchera-t-elle d'une fille ou d'un beau maschio ? Anna ou Giancarlo ?  Valeria ou Egidio ? Des vieux, imperturbables, finissent leur partie de cartes à l'ombre du réverbère dont l'ocre lumière poursuit la teinte fanée des palazzi. Alberto Sordi est né tout près et l'on mange encore des spaghetti dans de petites trattorie reculées. 

La jeunesse se réunit sur la Piazza Trilussa, au pied de la fontaine, et les camelots hèlent encore les derniers touristes sur le Ponte Sisto. En aval sur le fleuve, l'île Tibérine dort, comme dorment les mendiants qui l'occupent. Sous leurs hardes et leurs cartons souillés, sous la boue et la vase qui formèrent l'île, dort aussi à jamais le cruel Tarquin, jadis jeté au fleuve par la colère du peuple. Et le Tibre, tournant le dos à Saint-Pierre, s'en va, doucement, jusqu'à l'antique Ostia.

3 commentaires:

Jérôme a dit…

superbe !

Cornus a dit…

C'est fort bien dit !

Calyste a dit…

Jérme : c'est le lieu qui, pour moi, est superbe.

Cornus : j'essaie.