mardi 4 décembre 2018

Considérations sur la guerre

Je suis né après la guerre, la seconde, la dernière paraît-il, sinon ce sera la deuxième. Sept ans après. Je n'ai rien su de tout cela, pas tout de suite. Ai-je appris la guerre après avoir su la mort de mon père ? Je ne sais qui m'a parlé de mon père. Pour la guerre, je le sais. Ma grand-mère, non, bien qu'elle ait caché mon oncle pour lui éviter le STO, dans la cave, il paraît. Personne ne l'a dénoncé. Personne, après la guerre, n'a été jugé pour collaborationnisme, même pas la fermière qui vendait son lait au prix de l'or. On ne collaborait pas, on ne résistait pas. On se contentait d'essayer de vivre, ou de ne pas mourir, de faim ou de bombes.

Sept ans, ce n'est rien, j'en ai conscience aujourd'hui. Les souvenirs étaient encore vifs quand on essayait vainement de me faire sourire sur la photo du bébé joufflu sur le coussin. Ma mère, la nerveuse, malade de ses nerfs, emmomifiée dans des bandelettes pour malade de peau quand l'alerte avait retenti. Le pré au dessus-du village où tous se réfugiaient espérant en la bonne vue des aviateurs alliés (d'autres, cachés dans le bois, avaient été tués). La femme restée sur son balcon où la bombe tomba, l'encastrant dans le mur. Les voyages en Haute-Loire pour tenter de rapporter de la viande, de la charcuterie, n'importe quoi. Les pâtes envahies de charançons que l'employeur de ma mère voulait jeter et qu'elle rapporta comme un précieux trésor à trier. Les bombardements de l'église, de la gare, des écoles en ville.

Je n'ai rien connu de tout ça mais je l'ai su très vite, par ma mère. Mes cauchemars étaient peuplés d'allemands, de clameur des sirènes. Un voisin, ancien combattant, ne m'épargna pas, beaucoup trop tôt, le film de Resnais, Nuit et Brouillard. Adulte, je frémissais encore, un mercredi par mois, quand retentissaient les sirènes d'usines. Exercices, oui, pas pour moi.

Aujourd'hui, les sirènes ne retentissent plus, je ne rêve plus de casques à pointe. Malgré mes parents, je me suis mis à aimer l'Allemagne, j'ai pleurer à la chute du mur, j'ai voulu apprendre la langue. Et Bach, comment le haïr ? Je suis de la première génération à ne pas avoir connu de guerre. Les autres sont lointaines, leurs images n'impressionnent plus mon inconscient. C'est consciemment que je suis en colère.Mais elles n'entreront plus dans mon roman intime.

4 commentaires:

vaileka a dit…

Un peu plus agée que vous, j'ai pas mal entendu parler mes parents et grand-parents de leur vie pendant la guerre : les difficultés pour trouver à manger, leur relogement pour cause de bombardements, ... mais je n'ai jamais ressenti de haine chez eux . Par contre, j'ai toujours entendu mon beau-père ( parti en 1942 avec le STO en Allemagne ) parler des " boches " jusqu'à la fin de sa vie . Aussi bien pour les allemands de sa génération que ceux d'aujourd'hui .Ce terme me hérissait le poil au plus haut point et les déjeuners en famille , par mes réflexions refroidissaient légèrement l'atmosphère !( bon ...Aussi, je ne pouvais pas m'empêcher de dire ce que je pensais ! )

Calyste a dit…

Vaileka : mon père non plus, n'a jamais employé d'autres mots (parfois doryphores). Et je vois encore leurs têtes, à ma mère et à lui, lorsque je leur ai annoncé un voyage en Allemagne. Pas de reproche, pas d'interdiction (ils m'ont toujours laissé libre de penser et d'agir), ces simples mots ; "Qu'est-ce que tu vas faire LA-BAS ?". Lorsque j'ai passé le pont de Kehl, j'ai eu un petit pincement, comme si je les trahissais.

Cornus a dit…

Je me suis déjà exprimé sur des sujets similaires. Je n'ai pas les mêmes empreintes de la Seconde Guerre mondiale, ni aussi intenses, mais elles restent fortes de mon point de vue si je compare aux ressentis de personnes de mon âge (et a fortiori des plus jeunes). En clair, je reste profondément marqué bien que né 25 ans après tant j'ai entendu de choses de mes grands-parents (peu) et surtout de mes parents ou encore d'autres témoignages plus dispersés dans la famille ou les amis. Des choses que j'ai retenues, parfois très précises et que je n'oublierais jamais.

Calyste a dit…

Cornus : si nos générations ont encore quelques notions de ce que ce fut, je doute que les plus jeunes en aient une vision précise.