lundi 3 décembre 2018

De l'autre côté de la rue.

Qui es-tu, toi derrière le carreau, de l'autre côté de la fenêtre éclairée sur la nuit, jalousie semi-baissée sur ton secret ? J'aime l'hiver, le soir, c'est là que je peux le mieux t'observer sans que tu le saches.

Une ombre, c'est tout ce que je connais de toi. Parfois, la pièce reste vide longtemps et je n'ai à voir que le halo ocre du lampadaire au coin de ton mur, dénonçant vaguement un tableau. Que fais-tu alors ? Dans quelle autre pièce, donnant ailleurs que sur ma scruptation, te permets-tu de vivre ? Je te veux là, à ma portée, sous mon regard.

Tu reviens, ta silhouette passe devant la fenêtre, l'extérieur t'indiffère, tu ne vis que pour toi, égoïste. Alors, je m'empare de ton histoire, c'est moi qui la crée, qui la change, qui la rêve. Tu es beau, comment pourrait-il en être autrement ? Jeune peut-être, ou pas. Tu écoutes de la musique, du Bach bien sûr, lorsque je ne vois plus que ta tête appuyée sur le rebord du canapé. Repos d'esthète après la vie folle du jour, portées protectrices des bruits de la ville.

Parfois, tu n'es pas là de plusieurs jours, ne m'offrant à contempler qu'une vitre sotte parce que muette. D'autres, à leur fenêtre, ne font pas tant de mystères : ils s'y installent pour fumer, aux regards de tous, les indifférents. Ils ne m'intéressent pas, ils ont un visage, je ne peux rien y changer. Lorsque tu reviens, mon regard se fait tendre. Pas de reproche, il suffit que tu sois de retour. Tu m'appartiens à nouveau.

Un jour, tu es parti. Plus rien : le mur nu, la trace que je devine du tableau, la jalousie relevée sur le vide. Comme une mort inattendue. Par habitude, je regarde chaque soir de l'autre côté de la rue. Ténèbres, vacuité de mes yeux. Nous étions si bien ensemble. Pour qui m'as-tu trahi ? D'autres viendront te remplacer, fenêtres ouvertes, lumières illuminantes, qui recevront, bêtes de troupeau, qui m'indiffèrent. Notre histoire était pourtant belle....

7 commentaires:

CHROUM-BADABAN a dit…

Charles BAUDELAIRE
1821 - 1867
A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

CHROUM-BADABAN a dit…

Les passantes !

Je veux dédier ce poème
À toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
À celles qu'on connaît à peine
Et qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais
À celles qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, presque, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui
Belle compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul peut-être à comprendre
Mais qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleuré la main
À celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie
Laissé voir la mélancolie
D'un avenir désespérant
Belles images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin
Mais si l'on à manqué sa vie
On songe, avec un peu d'envie
À tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir, retenir
Paroliers : Antoine Pol / Georges Charles Brassens / Joel Favreau

Cornus a dit…

C'est joliment dit, et je comprends bien.

Unknown a dit…

ah c'est bien ça !

Calyste a dit…

Chroum : tu places la barre haut !!!

Cornus : à moitié fictif cependant. Je ne suis pas possessif à ce point.

Karagar : un peu de voyeurisme n'a jamais fait de mal à l'imagination.

CHROUM-BADABAN a dit…

Oui mais ce que tu as écrit est assez beau !

Calyste a dit…

Chroum : merci à toi.