Un soir, en regardant je ne sais quel film à la télévision, un souvenir poignant m'a assailli, souvenir sans rapport avec le film mais qui, à ce moment-là, avait dû trouver l'issue des méandres de ma mémoire.
C'était peu de temps avant la mort de Pierre. J'allais le voir chaque jour, constatant, impuissant, les progrès de la maladie. Ce jour-là, je ne pus plus supporter cette chambre, blanche et froide, où rien ne se passerait plus que l'inéluctable. Il me fallait sortir, m'échapper, en emmenant Pierre avec moi. A une infirmière qui passait, je demandais l'autorisation de l'emmener dans le parc une fois qu'elle m'aurait aidé à l'installer sur son fauteuil roulant. C'était un tout petit parc, mais qui domine la ville.
A ma grande surprise, l'autorisation me fut accordée. Sans doute, pour elle et les médecins, les jeux étaient-ils faits : pourquoi refuser cette sortie qui ne risquait pas de lui faire plus de mal que la saloperie qui le rongeait ? Avec d'infinies précautions, je l'emmenai jusqu'au petit banc et installai son fauteuil à côté de moi.
C'est alors qu'il sourit, un petit sourire à peine esquissé qui pouvait passer pour une grimace mais où je vis son contentement : cela faisait des mois qu'il n'était pas sorti de sa chambre. Nous étions au printemps, il faisait doux, extraordinairement doux. Malgré la clémence de la température, je l'avais emmitouflé dans sa vieille polaire grise que j'ai encore aujourd'hui dans mon placard. Du vêtement, sa tête émergeait, pâle, émaciée, mais calme, comme rassérénée.
Je ne pus le regarder plus longtemps, je ne voulais pas qu'il voie mes yeux emplis de larmes. Alors, comme lui, je regardai la ville, en bas, qui sortait de l'hiver, bruissante de l'activité des bien-portants, inconsciente, insensible à ce qui se jouait dans ce parc. Dernier instant de communion, la main dans la main, dernier sourire avant la nuit.
samedi 30 septembre 2017
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7 commentaires:
Dur souvenir, mais doux aussi. À garder paisiblement et précieusement maintenant qu'il est revenu.
texte très émouvant, et comme j'ai les larmes faciles aujourd'hui.....
Vite une bouffée d'air pour ne pas pleurer.
Plume : tu as raison : c'est la douceur qui l'emporte aujourd'hui. Je regrette seulement de ne pas l'avoir fait un peu plus tôt. Peur-être auraient-ils accepté.
Karagar : merci. Pour moi, comme à chaque fois, je cache une trop grande émotion par un style plutôt académique.
Cornus : j'espère aussi te faire rire, parfois.
Comme l'a dit Karagar, c'était très émouvant et cela m'a évoqué d'autres expériences.
Bien sûr que tu me fais rire, souvent.
Oh oui que ce souvenir est poignant et doux en même temps.
Valérie : il ne me fait plus mal, au contraire.
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