Je croyais l'avoir vu, je ne l'avais pas vu. Il en est souvent ainsi de ces films cultes qui finissent par nous "posséder" alors que nous n'avons jamais eu de rapports avec eux, si ce n'est par quelques scènes, toujours les mêmes, diffusées lorsqu'il est, à la télévision, un instant question d'eux (ici, la première visite de Séverine chez Madame Anaïs, la tenancière du bordel).
Plaisir rare donc, pour moi, autant pour le thème qui surprit et parfois choqua à sa sortie en 1967, cette quête d'un plaisir que l'on dit ambigu, où les fantasmes de l'héroïne se superposent au récit, que par les clins d'œil facétieux de Bunuel (la reconstitution de L'Angelus de Millet par exemple). Plaisir intense aussi procuré par la distribution, Catherine Deneuve jeune, Michel Piccoli, dans un rôle de trouble oisif qui lui colle à la peau, Geneviève Page, en mère maquerelle à la fois tendre et brutale, Macha Méril, Georges Marchal, Francisco Rabal, Françoise Fabian. Excusez du peu!
Et puis, Pierre Clémenti, le truand amoureux, sa chaussette trouée et son long manteau de cuir, avec sa silhouette d'adolescent qui veut passer pour un dur. J'ai toujours eu un faible pour cet acteur,depuis Le Conformiste de Bernardo Bertolucci et Les Cannibales de Liliana Cavani.
Ah! comme je me sens bien dans cet univers!
lundi 28 février 2011
La Tour de guet
Je n'avais jamais lu de romans d'Ana Maria Matute. Je la croyais italienne alors qu'elle est catalane. La Tour de guet m'a fasciné comme peu de livres l'ont fait jusqu'à présent. Livre fort et ténébreux, de l'époque où les dieux, les bons et les méchants, cavaliers noirs et cavaliers blancs de la steppe au bord du grand fleuve, se livraient des batailles sous les yeux d'un enfant halluciné et laid, qui découvre peu à peu, chez un baron l'initiant à la chevalerie (celle des premiers temps, où l'amour courtois n'avait pas encore fait ses ravages), qu'il participe à cette histoire brutale du monde d'avant les hommes.
Le guetteur était mort, sans que je puisse, toutefois préciser quand; s'il disparut pour toujours du donjon de mon père, la nuit où je partageais ma chasse avec lui; ou lorsqu'il épiait l'horizon, le corps plié sur les créneaux; ou peut-être bien plus tard, une fois toutes ces choses accomplies. (...) Là-bas, près du Grand Fleuve, trois bouleaux s'agitaient doucement sur une terre aussi oubliée que l'image d'un jeune homme récemment investi chevalier et d'un écuyer qui versait à boire dans la coupe de son seigneur.
L'herbe de la prairie- et de toutes les prairies du monde- se balançait comme une mer attrapée quand elle a l'intention de fuir. (...)
Des hautes terres, des bois surgirent les cavaliers blancs et les cavaliers noirs. Des murailles du château de Mohl allèrent à leur rencontre des cavaliers blancs et noirs. Je vis alors le seigneur des ennemis, si arrogant, si gaillard et si vaillant qu'un dernier cri de violence se leva dans mon esprit. Je m'enorgueillis de sa furie, j'admirai son courage, et sa cruauté me renvoya l'image de mon enfance, allongé dans la prairie, les yeux troublés de plaisir devant le rêve de la guerre et du sang. Mais l'épée noire se dressa de mes propres mains et faucha pour toujours l'orgueil, la cruauté, le courage et la gloire. "Le mal est mort", me dis-je.
(Ed. Phébus Libretto. Trad de Michelle Lévi-Provençal)
Le guetteur était mort, sans que je puisse, toutefois préciser quand; s'il disparut pour toujours du donjon de mon père, la nuit où je partageais ma chasse avec lui; ou lorsqu'il épiait l'horizon, le corps plié sur les créneaux; ou peut-être bien plus tard, une fois toutes ces choses accomplies. (...) Là-bas, près du Grand Fleuve, trois bouleaux s'agitaient doucement sur une terre aussi oubliée que l'image d'un jeune homme récemment investi chevalier et d'un écuyer qui versait à boire dans la coupe de son seigneur.
L'herbe de la prairie- et de toutes les prairies du monde- se balançait comme une mer attrapée quand elle a l'intention de fuir. (...)
Des hautes terres, des bois surgirent les cavaliers blancs et les cavaliers noirs. Des murailles du château de Mohl allèrent à leur rencontre des cavaliers blancs et noirs. Je vis alors le seigneur des ennemis, si arrogant, si gaillard et si vaillant qu'un dernier cri de violence se leva dans mon esprit. Je m'enorgueillis de sa furie, j'admirai son courage, et sa cruauté me renvoya l'image de mon enfance, allongé dans la prairie, les yeux troublés de plaisir devant le rêve de la guerre et du sang. Mais l'épée noire se dressa de mes propres mains et faucha pour toujours l'orgueil, la cruauté, le courage et la gloire. "Le mal est mort", me dis-je.
(Ed. Phébus Libretto. Trad de Michelle Lévi-Provençal)
Annie Girardot
J'ai appris, comme tout le monde, la nouvelle de la mort d'Annie Girardot. J'étais dans ma voiture pour me rendre chez ma mère. Je n'y ai cru vraiment que ce soir, en regardant la télévision. Sa disparition me touche beaucoup, d'abord parce que c'était une grande actrice populaire, ce que tout le monde s'accorde à dire, mais aussi parce qu'elle a toujours été, pour moi, une femme vivante, passionnée, donnant des sourires et des coups de dents. Merci, Madame.
Je n'ai pu m'empêcher de penser que, peu à peu, ma mère glisse sur la même pente. Excusez-moi de tout mélanger.
Rocco et ses frères (Rocco et Nadia)
Je n'ai pu m'empêcher de penser que, peu à peu, ma mère glisse sur la même pente. Excusez-moi de tout mélanger.
Rocco et ses frères (Rocco et Nadia)
dimanche 27 février 2011
En réponse à Karagar
Lu aujourd'hui même sur un blog que je fréquente depuis longtemps: Le Lorgnon mélancolique. Extrait de L'Abécédaire* de Jean Sulivan
SOLITUDE
“Je suis reconnaissant à qui m’aime de m’aider à me sentir bien dans la solitude. Ceci est ambigu. C’est grâce à la présence-absence attentive de qui m’aime que la solitude m’est précieuse.”
L’écart et l’alliance, p. 17.
*Gallimard, 2010 (Edition établie et présentée par Charles Austin).
SOLITUDE
“Je suis reconnaissant à qui m’aime de m’aider à me sentir bien dans la solitude. Ceci est ambigu. C’est grâce à la présence-absence attentive de qui m’aime que la solitude m’est précieuse.”
L’écart et l’alliance, p. 17.
*Gallimard, 2010 (Edition établie et présentée par Charles Austin).
Graminées dans la brume
Un souvenir qui m'est revenu ce matin au réveil. Pourquoi à ce moment-là? Je n'en sais fichtre rien. Nous étions en Alsace avec mes élèves, au Hohwald, pour une semaine européenne. Nous y sommes allés neuf ans de suite. La dernière fois, les gérants ont voulu fêter notre fidélité en nous offrant une bonne bouteille une fois les enfants couchés: "On ne sait jamais, on peut ne pas se revoir l'année prochaine." Il n'y a jamais eu de dixième année.
Cette fois-là, je couchais dans la chambre tout au fond du bâtiment, une que je me réservais dès que je le pouvais car, au lieu de donner sur l'espace bitumé en contrebas, où était garé le bus, elle ouvrait sur la campagne et les bois alentour. Un matin, m'étant réveillé de bonne heure, j'avais profité du grand silence qui régnait encore autour de moi pour aller fumer une cigarette sur le palier extérieur de l'escalier de secours. Il faisait encore frais et, bien que juin soit déjà bien entamé, des restes de brume légère flottaient, évanescents, autour de la maison. Les contours de la colline d'en face étaient, eux, noyés dans le coton.
Je m'étais accoudé à la rambarde, heureux encore de ce moment volé. respirant l'air frais comme une gourmandise dont j'étais le seul à profiter et c'est là que je l'ai vu, à quelques mètres de moi, dressé sur ses pattes arrières, tentant de manger le sommet de hautes graminées. C'était un lièvre magnifique, gras et grand, dodu à souhait et beau dans sa position verticale. Il ne m'avait pas vu et, la brise soufflant vers moi, ne pouvait percevoir mon odeur ni cette de la fumée de ma cigarette. Lui aussi goûtait sans doute à sa façon la beauté de la solitude matinale.
Je l'ai observé longtemps, vigoureux et fragile à la fois, inconscient de ma présence qui l'aurait fait fuir s'il s'en était aperçu. Peut-on dire qu'un lapin est émouvant? Je le crois depuis ce jour. Tableau de sérénité et de vie. Il n'y avait que lui et moi. J'avais par instant la sensation d'être indiscret mais ne pouvais me détacher de ce spectacle. Rarement je me suis senti aussi près de la nature, à en oublier de tirer sur ma cigarette, attentif seulement à ne pas bouger, à ne pas briser l'harmonie de ce qui me dépassait. Il a continué à grignoter, reposant parfois les pattes au sol pour se redresser immédiatement une fois le repos suffisant. C'est moi qui suis parti. Je voulais garder uniquement cette image, sans la fuite qui n'aurait probablement pas tardé.
Quelques instants plus tard, après le déjeuner, des enfants jouaient là, à pousser leurs cris hilares de jeunes fous en liberté. Le lièvre avait regagné ses taillis protecteurs.
Cette fois-là, je couchais dans la chambre tout au fond du bâtiment, une que je me réservais dès que je le pouvais car, au lieu de donner sur l'espace bitumé en contrebas, où était garé le bus, elle ouvrait sur la campagne et les bois alentour. Un matin, m'étant réveillé de bonne heure, j'avais profité du grand silence qui régnait encore autour de moi pour aller fumer une cigarette sur le palier extérieur de l'escalier de secours. Il faisait encore frais et, bien que juin soit déjà bien entamé, des restes de brume légère flottaient, évanescents, autour de la maison. Les contours de la colline d'en face étaient, eux, noyés dans le coton.
Je m'étais accoudé à la rambarde, heureux encore de ce moment volé. respirant l'air frais comme une gourmandise dont j'étais le seul à profiter et c'est là que je l'ai vu, à quelques mètres de moi, dressé sur ses pattes arrières, tentant de manger le sommet de hautes graminées. C'était un lièvre magnifique, gras et grand, dodu à souhait et beau dans sa position verticale. Il ne m'avait pas vu et, la brise soufflant vers moi, ne pouvait percevoir mon odeur ni cette de la fumée de ma cigarette. Lui aussi goûtait sans doute à sa façon la beauté de la solitude matinale.
Je l'ai observé longtemps, vigoureux et fragile à la fois, inconscient de ma présence qui l'aurait fait fuir s'il s'en était aperçu. Peut-on dire qu'un lapin est émouvant? Je le crois depuis ce jour. Tableau de sérénité et de vie. Il n'y avait que lui et moi. J'avais par instant la sensation d'être indiscret mais ne pouvais me détacher de ce spectacle. Rarement je me suis senti aussi près de la nature, à en oublier de tirer sur ma cigarette, attentif seulement à ne pas bouger, à ne pas briser l'harmonie de ce qui me dépassait. Il a continué à grignoter, reposant parfois les pattes au sol pour se redresser immédiatement une fois le repos suffisant. C'est moi qui suis parti. Je voulais garder uniquement cette image, sans la fuite qui n'aurait probablement pas tardé.
Quelques instants plus tard, après le déjeuner, des enfants jouaient là, à pousser leurs cris hilares de jeunes fous en liberté. Le lièvre avait regagné ses taillis protecteurs.
samedi 26 février 2011
Rien qu'à moi
J'apprécie toujours autant ces moments rien qu'à moi le soir, après un repas entre amis chez moi ou chez eux, ces soirs où je ne suis pas abruti par le travail et où je sais que je peux traîner le matin au lit. Des moments volés à la bousculade et au stress, où l'on ne pense à rien d'autre que ce que l'on vit dans l'instant, où rien ne presse, où tout devient soudain plus léger, comme si le temps avait perdu sa consistance.
Lire, regarder la télévision, venir devant cet écran sans autre envie que d'être bien. Ne pas téléphoner surtout. Pas d'autre bruit que le glissement des pneus sur la route mouillée, dans un immeuble endormi où, seul, je veille. Ou bien préparer un plat pour le lendemain, m'arrêter à l'entrée d'une des pièces refaites de l'appartement et me dire qu'elle me plaît, songer aux aménagements qu'il reste à faire, supposer l'emplacement d'un tableau, d'un bibelot, rêver à ce que cela va être bientôt et qui permet de rêver parce que ce n'est pas encore.
Et puis, quand le sommeil gagne, ne pas résister, se glisser dans les draps et partir dans le sommeil, sans avoir à régler le réveil, faire confiance à son corps qui saura quand il sera assez reposé, espérer, quand on ouvrira les volets, le matin, que le soleil entrera dans la cuisine, lui redonnant une âme, toujours silencieuse, et commencer doucement une autre journée.
Lire, regarder la télévision, venir devant cet écran sans autre envie que d'être bien. Ne pas téléphoner surtout. Pas d'autre bruit que le glissement des pneus sur la route mouillée, dans un immeuble endormi où, seul, je veille. Ou bien préparer un plat pour le lendemain, m'arrêter à l'entrée d'une des pièces refaites de l'appartement et me dire qu'elle me plaît, songer aux aménagements qu'il reste à faire, supposer l'emplacement d'un tableau, d'un bibelot, rêver à ce que cela va être bientôt et qui permet de rêver parce que ce n'est pas encore.
Et puis, quand le sommeil gagne, ne pas résister, se glisser dans les draps et partir dans le sommeil, sans avoir à régler le réveil, faire confiance à son corps qui saura quand il sera assez reposé, espérer, quand on ouvrira les volets, le matin, que le soleil entrera dans la cuisine, lui redonnant une âme, toujours silencieuse, et commencer doucement une autre journée.
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