mercredi 10 avril 2013

Ulysse ou l'âge d'homme

Ulysse est parti vingt ans d'Ithaque. Il en a passé dix devant les murs de Troie, dans la lointaine Asie Mineure. Grâce à lui, dit-on, et à sa ruse, les murailles en sont tombées, lorsque, de nuit, les grecs sont sortis du cheval de bois. Il mettra dix autres années à regagner son île, dix ans passés non pas sur mer, comme on le dit souvent, mais en compagnie de belles femmes, mortelles ou déesses, dont il repoussera certaines et dont il aimera d'autres.

Nulle part, si je me souviens, il n'est question d'âge dans l'Iliade et l'Odyssée. Quel âge avait le guerrier lorsqu'il quitta Pénélope? Supposons qu'il soit près de la trentaine. Il aurait donc eu une cinquantaine d'années au retour, âge relativement canonique pour l'époque. Lorsqu'il aborde enfin aux rivages d'Ithaque, il demande à sa déesse bienfaitrice, celle qui le protégea toujours des attaques de Poséidon, Athéna, de le transformer en vieillard mendiant afin de voir, sans être reconnu,  ce qui se passe dans son royaume. Le premier à le reconnaître sera son vieux chien, Argos, qui n'attendait que son retour pour mourir. Puis sa nourrice et son porcher, Eumée. Enfin, Télémaque, son fils, et Pénélope. Et c'est à ce moment-là, après avoir défait les prétendants, qu'il reprendra son apparence initiale.

Cet épisode m'a toujours intrigué. Était-il besoin de métamorphoser  Ulysse alors que le temps passé ailleurs l'avait sans doute transformé profondément? Et, en écoutant hier une émission sur France-Inter, j'ai eu un début de réponse à ma question. Je crois que l’interviewé était Régis Debray, un Régis Debray qui m'est apparu bien assagi et plus philosophe que politique.

Et si tout cela n'était qu'une sorte de "parabole"? Les vingt ans d'exil représentant l'âge de l'homme mûr, passés à batailler, à conquérir, à séduire et à regretter. Puis le retour, comme on regarde à nouveau vers l'enfance, l'âge avançant. Un retour aux sources, fussent celles d'Ithaque, son "vert paradis des amours enfantines". Pas de métamorphose donc: vieillard il est, vieillard il reste. Et ce sont les yeux de ceux qui ont gardé le regard de l'amour qui le voient toujours jeune malgré ses rides et ses cicatrices.

Mais la fin de l'Odyssée ne répond pas à ma dernière question (scène sublime des retrouvailles avec Pénélope dans la chambre nuptiale, sur le lit construit par les bras virils du héros). Que devint ensuite Ulysse? N'eut-il pas, un moment, le regret de ses errances dont le temps était hélas passé?

6 commentaires:

Cornus a dit…

Je me souviens aussi que l'histoire du chien de plus de 20 ans ne m'était pas apparue cohérente...

Didier M a dit…

Vivre en héros, c'est ignorer le temps qui passe. Toute l'histoire d'Ulysse, de son aimée en est la preuve. Ou alors on peut se contenter de voir passer le train des jours et des nuits bien au chud dans la maison du garde-barrière. Il y a bien longtemps que j'ai fait le choix...

P. P. Lemoqeur a dit…

Personne ne le reconnaît en effet sauf Argos, son chien, quel que fut son âge, qui meurt de chagrin du fait que son maître ne voulant pas être démasqué fait semblant de ne pas le reconnaître... On ne fait pas ça à un chien!
Sa nourrice Euryclée le démasque par une cicatrice dont elle sait l’existence; Bref, ce sont deux êtres étrangers à la cellule familiale organique qui le reconnaissent .
Pénélope sa femme inconsolée (une belle sainte-nitouche,celle là le snobe et Laerte son père inconsolable, aussi. Télémaque son fils s’il est le premier à le reconnaître ne le fait que parce qu’Ulysse se démasque
Alors coté filiation, sentiments familiaux, on a vu mieux...

Ne pas oublier qu'Ulysse pour échapper aux chants des Sirènes est aussi l'inventeur des boules Quiès...

Jean-Pierre a dit…

Heureux qui comme Ulysse
A fait un beau voyage
Heureux qui comme Ulysse
A vu cent paysages
Et puis a retrouvé
Après maintes traversées
Le pays des vertes années

Par un petit matin d'été
Quand le soleil vous chante au cœur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté

Quand on est mieux ici qu'ailleurs
Quand un ami fait le bonheur
Qu'elle est belle la liberté
La liberté


Georges Brassens

Calyste a dit…

Cornus: il ne faut pas trop chercher de cohérence dans la mythologie. c'est ce que je dis chaque année à mes élèves.

Didier: Moi aussi. et j'ai beau me plaindre parfois, je ne changerais pas pour un empire (ni pour une maison de garde-barrière).

PP:je vois que tu es très branché relations familiales en ce moment!

Jean-Pierre:

je vais sans doute te surprendre mais Brassens ne fait pas partie de mes chanteurs préférés. Dès mon adolescence, j'ai senti que certaines de ses paroles avaient des relents qui ne me plaisaient pas (misogynie, homophobie,...). L'âge venu, j'ai commencé a davantage l'apprécier, mais il me reste encore quelque chose de ces lointaines réticences.
Merci tout de même pour le clin d’œil.

P. P. Lemoqeur a dit…

Ben je suis surtout branché sur la problématique du mariage pour tous et la réaction de ceux qui prétendent que c'est la fin de l'amour familial...